Apporter de l’eau aux champs
2022-02-19ReportageduKenyaparHENRYNEONDO
Reportage du Kenya par HENRY NEONDO
L’équipement chinois change le paysage agricole du Kenya
Le Kenya souffre du manque d’eau. Une grande partie de son territoire est situé en zone aride et semi-aride, et reçoit moins de 300 mm de précipitations par an. Ces terres ne peuvent donc convenir qu’à l’élevage. Cela a fait de la recherche de l’autosuffisance alimentaire du pays une tâche herculéenne, et le Kenya dépend encore des importations pour nourrir près de 50 millions de personnes. De plus, avec le changement climatique, la fréquence et la durée des sécheresses ont augmenté, faisant chuter les rendements agricoles à un taux moyen de 21,41 % par an, selon un rapport de la Banque mondiale en 2016.
La faible couverture en eau ne fait qu’aggraver les choses dans le cadre de la campagne de production alimentaire du pays. Selon le ministère de l’Eau , de l’Assainissement et de l’Irrigation, la couverture en eau du Kenya à l’échelle nationale est toujours de 60 %, ce qui affecte l’assainissement et l’irrigation.
Le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et des Pêches (MAEP) place les espoirs de la future production alimentaire du pays sur l’intensification de l’irrigation, en particulier les projets à petite échelle qui ciblent plus de 4,5 millions de petits agriculteurs, définis par le ministère comme étant ceux qui travaillent sur des terres comprises entre 0,5 et 5 hectares.
Besoin d’irrigation
Avec le soutien de la Banque africaine de développement, le gouvernement a lancé un certain nombre d’initiatives à travers le Projet d’irrigation et de valorisation à petite échelle (SIVAP), d’une valeur de 70,69 millions de dollars, afin de réduire la dépendance de la production agricole à l’égard des précipitations. Le SIVAP est mis en œuvre dans 11 comtés arides et semi-arides, parmi lesquels Bomet, Kitui, Makueni, Meru, Murang’a, Nyandarua et Tharaka Nithi. Deux de ses quatre composantes principales concernent l’amélioration du développement des infrastructures hydrauliques et le développement des capacités.
Alors que le potentiel d’irrigation du pays est estimé à 546 340 hectares, seuls 202 350 hectares sont actuellement couverts. Gitonga Mugambi, directeur général de l’Autorité nationale de l’irrigation, agence d’État chargée du développement, de la gestion et de la réglementation de l’irrigation, a déclaré que cela était en partie dû à des équipements osbolètes. « Avec une technologie appropriée et abordable, et des installations de stockage de l’eau améliorées, la couverture d’irrigation actuelle pourrait atteindre 1,9 million d’acres (769 930 hectares) », explique-t-il. Pour aider à contourner le problème, le gouvernement s’est donc tourné vers les investisseurs technologiques chinois.
Le rôle des investisseurs chinois
Zhu Weicai, directeur général de la Sino-Kenya Agriculture Technology, a souligné que la Chine mettait tout en œuvre pour aider les agriculteurs kényans avec des technologies d’irrigation modernes et abordables. M. Zhu a indiqué que les investisseurs chinois aideraient à développer une industrie agroalimentaire locale à faible coût, permettant aux exploitants d’ajouter de la valeur à leurs rendements.
Ces mêmes investisseurs ont identifié un certain nombre de détaillants locaux pour leurs kits d’irrigation, à l’instar d’Artest Zhang de Dayu Irrigation Group, basé en Chine. Il s’agit de l’un des plus grands fournisseurs au monde d’équipements d’irrigation économes en eau. L’entreprise a ainsi déclaré disposer de revendeurs auprès desquels les agriculteurs kényans peuvent se fournir.
Margaret Wambui, de Fine Touch (Kenya), est l’un de ces détaillants. Il explique que ses collègues et lui-même disposent des stocks suffisants pour répondre à un large éventail de besoins, ajoutant que les exploitants préfèrent les kits importés de Chine pour leur durabilité et leurs prix abordables, en comparaison des kits d’Europe occidentale. Ainsi, cela coûterait à un petit exploitant possédant un acre de terre (0,4047 hectare), environ 1 058 dollars pour se procurer un kit complet (composé de tuyaux et de raccords), qui pourrait irriguer toute la parcelle. Selon le type de culture, le coût peut être amorti en une seule saison, d’après M. Wambui.
Des agriculteurs heureux
Dans les comtés de Kajiado, Narok, Bomet, Tharaka Nithi et même Turkana, la vie des agriculteurs est en train de changer grâce au projet d’irrigation à petite échelle. Cela est d’autant plus spectaculaire qu’il s’agit normalement de zones habitées par des communautés nomades.
Un certain nombre de petits exploitants utilisent déjà la technologie d’irrigation chinoise. Irene Makui, présidente de Nadupoi Olooloitikoshi, un groupe de femmes situé à Kitengela dans le comté de Kajiado, a révélé que leur région n’enregistrait que peu de précipitations. « Nous pouvons désormais récolter des légumes et d’autres cultures grâce à la capacité du groupe à irriguer. » De fait, Nadupoi Olooloitikoshi a débuté ses activité en 2015 avec 14 femmes au total. Elles ont commencé par acheter des chèvres et ont économisé de l’argent. « Nous avons réalisé qu’en tant que communauté d’éleveurs, nous devions être uniques. Nous nous sommes assises et avons convenu de démarrer un projet agricole qui nous aiderait à produire des légumes et à équilibrer notre alimentation à base de viande », explique Mme Makui. « La communauté nous a donné des terres - car ici, les terres appartiennent à la communauté. Nous sommes allées aux bureaux du comté de Kajiado pour demander du soutien concernant l’eau. Ils nous ont écoutées et nous ont aidées à construire un réservoir et à creuser un forage. Nous puisons l’eau que nous utilisons pour l’irrigation et l’élevage. Nous avons aussi des tranchées pour donner de l’eau aux vaches et aux chèvres. »
La coopérative Lelaitich à Chepalungu, dans le comté de Bomet, bénéficie également de la technologie d’irrigation chinoise. « Je suis très heureuse de pouvoir irriguer ma ferme. J’ai gagné en confiance depuis que j’ai rejoint ce projet, où j’ai appris à utiliser le matériel d’irrigation. Cela signifie que je n’ai plus à attendre désespérément la pluie ! Je peux récolter tout au long de l’année, qu’il pleuve ou non », témoigne Emily Koros, une petite exploitante.
« Les précipitations sont devenues imprévisibles, un fait qui a rendu l’agriculture peu attrayante. Cependant, avec l’équipement à bas prix que nous avons récemment obtenu, les choses changent et il y a de l’espoir », développe Daniel Muchnku, agriculteur de Tharaka Nithi.
Le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et des Pêches place les espoirs de la future production alimentaire du pays sur l’intensification de l’irrigation, en particulier les projets à petite échelle qui ciblent plus de 4,5 millions de petits agriculteurs, définis par le ministère comme étant ceux qui travaillent sur des terres comprises entre 0,5 et 5 hectares.
Réservoir d’eau pour l’irrigation appartenant à Nadupoi Olooloitikoshi, un groupe de femmes situé à Kitengela dans le comté de Kajiado. (COURTOISIE)
Sécurité alimentaire
Le professeur Hamadi Boga, secrétaire principal du Département d’État pour le développement des cultures et la recherche agricole au MAEP, a indiqué que le secteur agricole contribuait à environ 24 % du PIB, — 27 % par le biais de liens économiques indirects. L’agriculture représente en outre 65 % des recettes d’exportation du pays. « Mais le secteur a été durement touché lors de l’épidémie de COVID-19, ce qui a affecté la vitesse à laquelle les agriculteurs ont pu accéder aux intrants agricoles. De plus, les coûts d’exploitation ont augmenté », ajoute-t-il. M. Boga explique également que le système de production alimentaire du Kenya repose à 80 % sur les petits agriculteurs, et que la majorité d’entre eux vit dans des zones rurales au climat aride et semi-aride. Avec de faibles rendements, les revenus sont à peine suffisants pour s’offrir de nouvelles technologies.
Selon Jackline Koin, cheffe de l’Autorité agricole du comté de Kajiado, les conditions météorologiques irrégulières constituent un défi majeur pour de nombreux agriculteurs qui vivent dans ces zones. Elle indique que le Kenya a toujours connu une insécurité alimentaire, en raison des faibles rendements agricoles, de la mauvaise qualité des semences et de la mauvaise répartition des précipitations. « Le moment qu’ont choisi les Chinois pour entrer dans le secteur agricole du pays n’aurait pas pu mieux tomber », se réjouit-elle.
Betty Maina, secrétaire de cabinet du ministère de l’Industrialisation, du Commerce et du Développement des entreprises, note, de son côté, que l’arrivée des investisseurs chinois dans le secteur est cruciale pour transformer l’agriculture. Un secteur qu’elle qualifie d’ailleurs de socle de l’économie kényane. CA