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Les Chinois et les dépanneurs au Québec : une incursion asiatique au cur du Québec francophone

2018-03-10JeanPhilippeCroteauFengXia在魁北克经营便利店的中国人亚洲人在魁北克法语区的融入

关键词:魁北克便利店亚洲

Jean-Philippe Croteau Feng Xia在魁北克经营便利店的中国人:亚洲人在魁北克法语区的融入

Introduction

L’immigration chinoise au Canada est un phénomène qui ne date pas d’hier. Les premiers immigrants chinois sont arrivés en Colombie-Britannique dès 1858 pour travaillerla construction du chemin de fer qui devait relier le Canada d’ouest en est. Dans les années 1880 et 1890, ils s’établissent dans les différentes métropoles du Canada comme Vancouver, Toronto et Montréal où ils exercent le métier de restaurateur, de commerçant et de blanchisseur. Depuis les années 1990, l’immigration chinoise connat un essor sans précédent notamment avec le retour de Hong Kongla Chine continentale qui provoque l’arrivée au Canada de riches investisseurs. Aujourd’hui, la Chine constitue le deuxième pays d’origine en importance après la Grande-Bretagne des Canadiens nésl’étranger. Les immigrants chinois sont constitués désormais surtout d’étudiants, d’investisseurs et d’immigrants indépendants recrutés pour leurs compétences professionnelles en provenance des différentes régions de la Chine*Au sujet de l’histoire des Chinois au Canada, l’historiographie a été très prolifique. Voici les principaux titres : Anthony B. Chan, Gold Mountain, The Chinese in the New World, Vancouver, BC, New Star, 1983, 223 p., Peter S. Li, Chinese in Canada (Second Edition), Toronto, ON, Oxford University Press, 1998, 224 p., David Chuenyan Lai, Chinatowns: Towns Within Cities in Canada, Vancouver, UBC Press, 2007, 694 p., James Morton, In the Sea of Sterile Mountains: The Chinese in British Columbia, Vancouver, UBC, J.J. Douglas, 1974, 280 p., Lisa Rose Mar, Brokering Belonging: Chinese in Canada’s Exclusion Era, 1885—1945, Oxford University Press, 2010, 247 p. Patricia Roy, A White Man’s Province : British Columbia Politicians and Chinese and Japanese Immigrants, 1858—1914, Vancouver, UBC Press, 1989, 345 p., Patricia Roy, The Oriental question : Consolidating a White Man’s Province, 1914-41, Vancouver, UBC Press, 2003, 344 p., Patricia Roy, The Triumph of Citizenship : The Japanese and Chinese in Canada, 1941—1967, Vancouver, UBC Press, 2007, 390 p., GuangTian, Canadian-Chinese: Coping and Adapting in North America, Edwin Mellen Press, 1999, 348 p. et Chung Ng Wing, The Chinese in Vancouver, 1945-80: The Pursuit of Identity and Power, Vancouver, UBC Press, 1999, 224 p.Les ouvrages sur les Chinois au Québec sont beaucoup moins nombreux. Toutefois, on peut compter sur une monographie importante, mais dont la périodisation est antérieure au sujet de cet article : Denise Helly, Les Chinois Montréal 1877—1951, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987, 315 p..

Le choix de s’établir au Québec ne s’impose pas d’emblée. Un certain nombre de Chinois éprouvent les mêmes difficultés qu’ailleurs au pays : problème d’adaptation culturelle, méconnaissance des langues officielles du pays (français et anglais), précarité économique, déqualification et chmage. Le français pose tout particulièrement un problèmel’intégration sociale et économique des immigrants chinois qui matrisent mal la langue de la majorité. Sans être essentiel pour décrocher un emploi notamment dans la ville de Montréal où l’existence d’une majorité francophone et d’une minorité anglophone consacre le caractère bilingue de la métropole québécoise, le français demeure hautement nécessairela réussite professionnelle etla mobilité sociale. De nombreux emplois lucratifs qui requièrent la connaissance du français outout le moins le bilinguisme français-anglais sont inaccessibles aux Chinois et ceux-ci doivent se contenter d’emplois sous-qualifiés.

Or, une nouvelle tendance se profilel’horizon. Plusieurs familles chinoises nouvellement arrivées au Québec adoptent comme stratégie de mobilité sociale l’achat de 《 dépanneurs 》 — petite épicerie de quartier ou de villageheure d’ouverture prolongée — en périphérie de Montréal ou dans des zones rurales ou semi-urbaines. Toutefois, les Chinois qui font ce choix doivent composer avec un environnement exclusivement francophone. En effet, près de 95 % de la populationl’extérieur de Montréal est francophone et l’usage de l’anglais dans l’espace public est peu fréquent. Comment expliquer ce choix paradoxal, alors que la méconnaissance du français constitue déjun handicap mêmeMontréal dans un milieu réputé bilingue et plus international? Pourquoi choisissent-ils de s’établir dans le foyer principal du Canada francophone, c’est--dire les régions du Québec en périphérie de la région montréalaise? Cette zone habitée constitue le seul endroit du continent où les francophones dominent presque sans partage sur le territoire et où l’usage du français est quasi exclusif. Ainsi, on peut voir sur la carte 1*Source : http://www.rcinet.ca/fr/2016/04/21/relations-canadiennes-et-francophonie-canadienne-quelle-evolution/.que la francophonie canadienne est un corridor qui traverse le Québec et contourne la région montréalaise, où résident la plus grande partie de la minorité anglophone et les communautés issues de l’immigration, puis déborde les frontières du Québecl’est etl’ouest pour s’étendre aux aires limitrophes des autres provinces canadiennesmajorité anglophone.

Carte1LesfoyersdefrancophonieauCanada

Cet article se propose d’examiner le phénomène de ce nouvel entrepreneuriat chinois dans l’hinterlandfrancophone, alors que les compétences linguistiques des immigrants chinois ne les ont guère préparésintégrer des collectivités caractérisées par leur homogénéité culturelle. Qu’est-ce qui motive ces entrepreneurs chinoiss’installer dans les régions francophones du Québec? Pourquoi se tourner vers le petit commerce de l’alimentation et du détail? Quels sont leurs rêves, leurs espoirs, leurs attentes? Leurs succès et leurs échecs? Comment s’aménage leur insertion dans une société exclusivement francophone?

I. Un état de la question

La question de l’immigration chinoise au Canada intéresse de plus en plus les chercheurs. Ces derniers ont observé dans leurs travaux récents l’apparition de nouvelles pratiques territoriales et sociales au sein de la communauté sino-canadienne qui diffèrent entre les générations les plus anciennes et les plus récentes*Voir Huhua Cao, Olivier Dehoorne et Vincent Roy, 《 L’immigration chinoise au Canada : logiques spatiales et nouvelles territorialités/Chinese immigration in the Canadian : spatial distribution and new territorial strategies 》, Norois, Environnement, aménagement, société, vol. 199 (2006), p. 11-22.. Les immigrants de souche plus ancienne, plusgés, moins éduqués et avec un accèsun éventail d’emplois plus limité sont encore très enracinés dans les quartiers historiques desChinatownssitués dans le centre-ville. Ces quartiers avaient pour fonction de rassembler les immigrants chinois dans un milieu de vie familier et de reconstituer un espace social qui absorberait le choc culturel de l’arrivée dans un pays étranger et favoriserait éventuellement leur intégration socio-économiqueleur société d’accueil grcela création d’un réseau d’entraide et de solidarité. Les nouvelles générations, qui arrivent surtout après les années 1990, sont souvent plus éduquées, matrisent mieux l’anglais et possèdent un statut social plus élevé qui leur assure une mobilité géographique plus grande. Ils s’installent surtout en banlieue pour profiter d’un plus grand niveau d’opportunités d’emplois et tissent davantage de liens avec la société d’accueil grceleur capital culturel et linguistique qui favorise leur intégration plus rapide que pour les générations précédentes. De plus, certains auteurs remarquent que ce phénomène desuburbanisationen cache un autre, celui du déclin des communautés chinoises dans les régions périphériques qui progressent faiblement en nombre absolu et diminuent en proportion. Les immigrants surtout indépendants s’installent d’abord dans les régions périphériques et ont recourscette stratégie migratoire individuelle pour acquérir une première expérience professionnelle avant de poursuivre leur trajectoire vers les métropoles économiques. Ceux qui restent dans ces zones périphériques sont le plus souvent des immigrants faiblement éduqués et avec des ressources économiques limitées qui se concentrent dans des activités comme la restauration*Voir aussi D. Fang et D. Brown, 《 Geographic Mobility of the Foreign-Born Chinese in Large Metropolises, 1985—1990 》, International Migration Review, vol. 33, n° 1 (1999), p. 137-155. D. C. Lai, 《 From Downtown Slums to Suburban Malls: Chinese Migration and Settlement in Canada 》, dans Laurence J. C. Cartier et Carolyn Ma (dir.), The Chinese Diaspora — Space, Place, Mobility, and Identity, 2003, p. 311-336. Lucia Lo et Shuguang Wang, 1997. 《 Settlement patterns of Toronto’s Chinese immigrants: convergence or divergence? 》, Canadian Journal of Regional Science, vol. 20 (1997), p. 49-72..

Or, peu d’auteurs se sont intéressés au phénomène inverse :ces immigrants éduqués et recrutés pour leurs compétences et leurs formations qui s’établissent d’abord dans les métropoles, puis se dirigent vers la périphérie par manque de débouchés économiques pour s’intégrerun marché de l’emploi qui leur semble plus riche en possibilités professionnelles et moins compétitif. La revue de littérature sur l’immigration chinoise a porté une attention particulière aux courants migratoires des investisseurs, des travailleurs qualifiés et des étudiants, leur enracinement en milieu urbain et les mouvements de retour en Chine*Voir pour une vue d’ensemble, Fei Gao, La nouvelle immigration chinoise au Canada et au Québec dans le cadre de la mondialisation, mémoire de matrise (études internationales), Montréal, Université de Montréal, 2014.. Ainsi, le phénomène des dépanneurs chinois dans les régions périphériques se situecontre-courant des tendances migratoires définies et théorisées en sciences sociales et il convient de s’y intéresser, car nous y voyons un phénomène porteur d’avenir pour les prochaines décennies.

Le Québec n’est pas la destination privilégiée pour les immigrants chinois, loin s’en faut. La plupart des Chinois s’établissent principalement dans la province de l’Ontario (49% des immigrants chinois au Canada) et dans la ville de Toronto (84% des immigrants chinois de l’Ontario) ou dans la province de la Colombie-Britannique (31% des immigrants chinois) principalementVancouver (95% des immigrants chinois de cette province). En Ontario, le nombre d’immigrants chinois est passé entre 2001 et 2011 de 164 885267 780 personnes contre 107 450 et 167 535 immigrants chinois en Colombie-Britannique (voir graphique 1*Chinese immigrants to Canada. The Canadian Magazine of Immigration. http://canadaimmigrants.com/chinese-immigrants-to-canada/. Page consultée le 22 mai 2017.de l’annexe). Une très faible proportion d’entre eux (environ 6%) se dirige vers la seule provincemajorité francophone du Canada, le Québec, dont la population estplus de 80% francophone. Les chiffres sont beaucoup plus modestes pour cette province, mais il reste que les effectifs chinois ont pratiquement doublé (24 405 immigrants chinois ont été dénombrés au Québec en 2001 contre 43 730 en 2011).

Graphique1ImmigrantschinoisadmisauCanadaselonlesprovincesetlesannéesderecensement

Les statistiques gouvernementales du Québec recensaient 101 880 personnes d’origine chinoise sur son territoire en 2011*Les résultats du recensement de 2016 n’ont pas été encore publiés par Statistiques Canada, l’organisme chargé de colliger et d’analyser les données du recensement. Nous nous référons donc aux résultats de 2011.. La majorité de ces personnes ont une origine unique chinoise (77,7%), tandis que les autres (26,3%) ont déclaré l’origine chinoise avec une autre origine ethnique. Plus du quart (28,8%) sont nées au Québec, tandis que 71,2% d’entre elles sont néesl’étranger. La plupart des Chinois nés au Québec sont de la seconde génération (25,8% des personnes d’origine chinoise).peine 2,7% d’entre eux sont de la troisième génération. Ainsi, les Chinois au Québec sont issus pour la plupart d’une immigration récente. Pour ceux qui ont immigré au Canada, 68% sont arrivés après 1990, dont un cinquième (19,8%) entre 2006 et 2011. Ceux qui sont arrivés avant 1981 constituent moins de quinze pour cent (14,6%) des immigrants chinois*Portrait statistique de la population d’origine ethnique chinoise recensée au Québec en 2011,Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Québec, 2014, 9 p. http://www.quebecinterculturel.gouv.qc.ca/publications/fr/diversite-ethnoculturelle/com-chinoise-2011.pdf. Page consultée le 18 avril 2017..

Sur le plan géographique, la population d’origine chinoise, immigrante ou née au Canada, se concentre dans la métropole économique du Québec, Montréal (65,6% des personnes d’origine chinoise au Québec) et de ses banlieues (24,1%). Environ 10 000 personnes d’origine chinoise, soit un dixième des personnes d’origine chinoise, habitent les autres villes du Québec oul’extérieur des centres urbains.

La population d’origine chinoise est très scolarisée comparativementla population québécoise. Ainsi, 36,3% des gens d’origine chinoise ont un diplme universitaire contre 18,6% des Québécois dans leur ensemble. Par contre, malgré cette surqualification, la population d’origine chinoise souffre davantage de chmage (10,3% pour les Chinois contre 7,2% pour le reste de la population). Ce taux de chmage est encore plus élevé chez la population d’immigration récente. Le revenu moyen est de 28 434 $ et le revenu médian est de 18 258 $ et sont beaucoup moindres que ceux observés dans l’ensemble de la population du Québec (36 352 $ et 28 099 $ respectivement). Les travailleurs d’origine chinoise se concentrent principalement dans des secteurs d’activités comme l’hébergement et la restauration (15,8%), le commerce au détail (14,4%) ou la fabrication (11,9%).

Enfin, le facteur linguistique. C’est sans doute celui qui marque le plus la communauté chinoise du Québec et la différencie de ses compatriotes établis ailleurs au Canada. Les premiers immigrants chinois qui arrivent au Québec dans les années 1880 et 1890 se sont intégrés surtoutla minorité anglophone, dont les institutions éducatives et les industries incarnaient le pouvoir économique et social de la culture et la langue anglaise sur le continent américain, et ce, même pour les francophones majoritaires dans la province qui, jusqu’aux années 1960 et 1970, contrlaient peu de capitaux et d’entreprises. Inquiet de l’avenir de leur culture et du fait français au Québec, la majorité francophone a commencéremettre en question le pouvoir économique de la bourgeoisie anglophone dans les années 1960 par la manifestation notamment d’un nouveau nationalisme plus revendicateur qui appelaitde nombreuses réformes sociales et politiques. Au terme de conflits politiques et sociaux fiévreux et passionnés, elle a porté au pouvoir le gouvernement nationaliste du Parti québécois en 1976, dirigé par un chef charismatique, René Lévesque, qui, l’année suivante, a voté la Loi 101 faisant du français la langue officielle du Québec. Cette loi, toujours en vigueur, forçait les immigrantsenvoyer leurs enfantsl’école française — qui avaient toujours préféré celle de la minorité anglophone pour des impératifs socio-économiques — et imposait le français comme langue de travail dans les entreprises. Sous l’effet de cette loi, la demande de main-d’uvre unilingue anglophone a fortement décliné pour favoriser l’ascension économique et sociale des travailleurs francophones ou bilingues qui ont été de plus en plus nombreuxdiriger les entreprises et qui ont consolidé leur présence dans la plupart des secteurs d’emplois au Québec*Marc V. Levine,La reconquête de Montréal, Montréal, VLB Éditeur, Coll. Études québécoises, 1997, 404 p. Au sujet des aménagements linguistiques au Québec et au Canada, voir Marcel Martel et Martin Pquet,Langue et politique au Canada et au Québec : une synthèse historique,Montréal,Boréal, 2010, 335 p. Pour le point de vue anglo-québécois des conflits linguistiques, voir Garth Stevenson, Community Besieged: The Anglophone Minority and the Politics of Quebec, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1999, 363 p..

Dans les décennies qui ont suivi l’adoption de la Loi 101, les Chinois — en particulier, ceux qui sont nés au Québec — ont appris graduellement le français et ont intégré davantage la société francophone se conformantla nouvelle évolution de la société québécoise et aux impératifs du marché de l’emploi. On voit dans le tableau 1*Portrait statistique de la population d’origine ethnique chinoise recensée au Québec en 2006,Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Québec, 2010, 9 p. http://www.quebecinterculturel.gouv.qc.ca/publications/fr/diversite-ethnoculturelle/com-chinoise-2006.pdf. Page consultée le 15 avril 2017.Portrait statistique de la population d’origine ethnique chinoise recensée au Québec en 2011,Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Québec, 2014, 9 p.http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/PUB_Presence2015_admisQc.pdf. Page consultée le 18 avril 2017.qu’entre les recensements de 2006 et de 2011 le français a progressé en tant que langue apprise, langue maternelle, langue parléela maison, ainsi que la langue utilisée au travail parmi la communauté chinoise. Il reste qu’l’heure actuelle seulement 60% des personnes d’origine chinoise peuvent converser en français, alors que ce taux s’élève80% en 2011 pour l’ensemble des personnes qui ont pour langue maternelle une langue autre que le français et l’anglais. Il s’agit d’un important handicap pour les personnes d’origine chinoise qui les maintient dans une situation économique précaire ou les amènequitter le Québec en grand nombre pour les provinces anglophones pour avoir accèsdavantage d’emplois ou de possibilités de réussite professionnelle. De plus, ces chiffres comprennent les personnes d’origine chinoise nées au Québec. En tenant compte uniquement de celles nées en Chine, la proportion de la connaissance du français est encore plus faible.

Tableau1Personnesd’originechinoiseselonlesindicateurslinguistiquesauQuébecd’aprèslesrecensementsde2006etde2011

2006(%)2011(%)Connaissancedufrançaisetdel anglaisFrançaisseulementFrançaisetanglaisConnaissantlefrançaisAnglaisseulementNifrançaisnianglais18,938,757,529,812,7 17,243,861,027,511,5LanguematernelleFrançaisAnglaisAutreslanguesuniquesRéponsesmultiples 12,88,276,42,614,08,673,83,6Langueparlée lamaisonFrançaisAnglaisAutreslanguesuniquesRéponsesmultiples 18,115,262,14,618,916,557,76,9LangueleplussouventutiliséeautravailFrançaisAnglaisAutreslanguesuniquesRéponsesmultiples29,94512,812,333,739,010,217,1

Ainsi, 50,7% des Chinois admis au Québec entre 2005 et 2014 sont toujours dans cette province en 2015 contre 74,8% pour l’ensemble des immigrants. Le tableau 2*Présence en 2016 des immigrants admis au Québec de 2004 2014, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Direction de la planification, de la recherche et des statistiques, Québec, juin 2016, p. 26. http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/PUB_Presence2015_admisQc.pdf. Page consultée le 25 avril 2017.montre bien que parmi les douze principaux pays d’origine des immigrants, la Chine est celui dont le taux de rétention est le plus bas. Il révèle aussi que la proportion de travailleurs économiques chinois, choisis par le gouvernement du Québec pour leurs compétences professionnelles et généralement plus mobiles, ont un taux de rétention encore plus faible (44,3%) que la moyenne (70,8%). Quant aux immigrants chinois déjétablis et qui font venir leur famille au Québec — la catégorie regroupement familial —, leur taux de rétention est plus élevé que les immigrants économiques (77,2%), mais en règle générale plus faible que les immigrants de la même catégorie provenant des autres pays (86,2%). Enfin, le nombre de réfugiés chinois est trop minime pour tirer des conclusions valables. Ce sont essentiellement les immigrants issus de la francophonie ou parlant une langue latine comme l’espagnol ou le portugais qui restent au Québec, tandis que les immigrants parlant anglais et originaires d’Asie tout particulièrement de la Chine, de l’Iran, de l’Inde ou du Pakistan ont tendancepartir vers les provinces anglophones.

Tableau2Tauxderétentionenpourcentagedel’ensembledesimmigrants,desimmigrantséconomiques,ceuxduregroupementfamilialetdesréfugiésadmisauQuébecentre2005et2014en2016selonlepaysd’origine

Paysd origineEnsembledesimmigrantsImmigrantséconomiquesRegroupementFamilialRéfugiésAlgérie8684,791,493,8France7776,482,480,8Chine50,744,377,271,2Maroc82,479,889,984,5Haïti93,193,292,194,4Colombie80,379,485,580,4Iran53,350,971,672,8Liban62,858,176,384,3Cameroun79,176,687,390Roumanie75,675,180,366,8Mexique80,968,788,787,7Philippines85,485,186,270,6L ensembledespays74,870,886,280,6

III. Les dépanneurs, une originalité québécoise

Le terme dépanneur vient du verbe 《 dépanner 》 en langage courant au Québec qui signifie 《 aider 》 ou 《 régler un problème 》. Ce terme a servidésigner ces petits commerces indépendants ouverts jusqu’très tard la nuit, voire toute la nuit, qui vendent toutes sortes de produits et jouent un rle très important dans la vitalité des quartiers. Il serait l’équivalent desconveniencestoresdans le monde anglo-saxon.

Au Québec, depuis 1921, l’État exerce un monopole sur la vente et la distribution de l’alcool par le biais de sa société d’État, la Société des alcools du Québec (SAQ) autrefois appelée la Commission des liqueurs. Jusqu’aux années 1990, les dépanneurs constituaient les seuls commerces non gouvernementaux autorisésvendre de l’alcool. Encore aujourd’hui, leurs principaux revenus viennent de la vente d’alcool, de la cigarette et des billets de loterie.

Contrairement aux supermarchés, les dépanneurs sont situés dans les quartiers résidentiels et offrent les services les plus divers : fax, photocopies, envoi et réception de la poste, transferts de fonds et d’argent et même l’accèsinternet. Les dépanneurs constituent une sorte de petite épicerie qui vend sur les étagères toutes sortes de produits alimentaires: du lait aux ptes en passant par les sandwichs, les croustilles, les friandises, les boissons gazeuses ou des repas congelés. Parfois, le service de livraisondomicile est assuré par un employé qui livre les achats du client sur une bicyclettetrois roues équipée d’une 《 bote 》 pour le transport des marchandises (appelée aussifreightbicycleen anglais ou vélo cargo en français). Le dépanneur offre aussi du caféprix modique et parfois comprendl’extérieur une pompeessence pour permettre aux voyageurs de faire le plein de leur voiture*Dans Sacré Dépanneur!, un ouvrage remarqué par la critique, l’auteure, invite les lecteurs découvrir le dépanneur comme un patrimoine social qui permet de mieux comprendre les transformations d’une société. Judith Lussier, Sacré Dépanneur!, photographies de Dominique Lafond, Coll. : Bienvenue au Québec, édition Héliotrope, 2010, 223 p..

Toutefois, de nos jours, l’avenir des dépanneurs indépendants est grandement menacé. Son niveau de rentabilité est plutt faible. En raison de son marché extrêmement localisé, sa survie dépend d’une clientèle fidèle. De plus, sa marge de profit peut varier avec les fluctuations du marché comme le prix de l’essence, le cot de l’approvisionnement des marchandises, la hausse des taxes gouvernementales sur les produits qui peuvent décourager les consommateurs et les amenerchanger leurs habitudes. Enfin, l’augmentation du salaire minimum décrétée par le gouvernement touche la masse salariale des employés et augmente les dépenses d’un propriétaire de dépanneur. Cela ne fait que fragiliser davantage la situation des dépanneurs.

Les dépanneurs ont amorcé depuis les années 1990 un lent déclin avec l’ouverture tardive des supermarchés et l’arrivée de chanes de magasins d’alimentation constituées souvent de dépanneurs indépendants achetés par des sociétés d’exploitation. Les dépanneurs indépendants ne font souvent pas le poids facela concurrence féroce de ces sociétés qui disposent de plus de moyens et de ressources pour offrir un plus grand choix de produitsun prix plus compétitif*Valérian Mazataud, 《 Les dépanneurs en mode de survie 》, Le Devoir, 31 mars 2012. http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/346374/les-depanneurs-en-mode-survie. Page consultée le 5 mai 2017. Voir aussi Philippe Mollé, 《 Le dépanneur se meurt 》, Le Devoir, 20 juin 2015. http://www.ledevoir.com/plaisirs/alimentation/443004/recette-de-la-semaine-le-depanneur-se-meurt. Page consultée le 7 mai 2017.. Leur rentabilité, déjfaible, est encore plus misemal et certains sont obligés de fermer. Le dépanneur ne représente plus un investissement avantageux comme c’était le cas par le passé et les propriétairesl’ge de la retraite parviennent difficilementassurer la relève avec une nouvelle génération d’entrepreneurs qui préfère se tourner vers des activités économiques plus lucratives. Ainsi, depuis les années 1990, le nombre des dépanneurs au Québec est passé de 10 0006000, soit une perte de 35%. Ce sont les dépanneurs indépendants de quartier qui ont été les principales victimes de cette diminution*Stéphane Dussault, 《 Les Chinois ont sauvé les dépanneurs du Québec 》, Journal de Montréal, 18 mars 2017. http://www.journaldemontreal.com/2017/03/17/les-chinois-ont-sauve-les-depanneurs-du-quebec. Page consultée le 10 mai 2017..

IV. Quand les Chinois s’achètent un emploi

La concentration des activités économiques des immigrants dans le commerce du détail ou de l’alimentation n’est pas un phénomène nouveau pas plus au Québec qu’ailleurs. Avant les Chinois, dès le 20esiècle, les Juifs et les Syriens avaient investi dans le marché du commerce du détail et même parcouru les routes du Québec comme colporteurs pour vendre dans les petits centres urbains ou les zones semi-rurales leurs marchandises aux familles francophones. Les Chinois eux-mêmespartir des années 1990 suivent ce même mouvement et acquièrent des commerces indépendantsMontréal. Le phénomène nouveau, qui apparat deux décennies plus tard, est celui des nouvelles vagues d’immigrants chinois, qui en raison d’un marché qui commenceêtre très saturé dans la métropole, se dirigent vers les régionsl’extérieur des grands centres urbains pour se lancer dans le petit commerce de l’alimentation et du détail.

Sans tenir de statistiques officielles, l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec (AMDEQ) estime que 1250 des 6700 épiceries, magasins d’alimentation et dépanneurs, gérés surtout par les sociétés d’exploitation, sont détenus par des Asiatiques. De plus, sur ces 6000 commerces, on compte 1000 dépanneurs indépendants au Québec, dont près de la moitié appartiennentdes Asiatiques. Leur croissance a été fulgurante. En 2007, l’AMDEQ comptait 12 membres asiatiques, puis 300 en 2012 et 400 en 2017. Les Chinois portent doncbout de bras les dépanneurs qui n’intéressent pas les grandes chanes ou les autres grandes bannières parce qu’ils sont trop petits, pas assez rentables ou situés loin des principales artères commerciales*Ibid.. Ce faisant, les Chinois sauvent les dépanneurs indépendants, ceux qui sont le plus menacés de disparition et permettent de maintenir des services essentiels dans des petites localités qui ne possèdent pas de supermarchés. Sans eux, les habitants d’une petite localité seraient obligés d’aller au village oula ville voisine,plusieurs kilomètres de distance, pour acheter les produits dont ils ont besoin pour leur usage courant.

Les deux principales raisons qui motivent les immigrants chinoisse lancer en affaires dans les régions du Québec sont l’incapacitétrouver un travail dans leur domaine en raison de la non-reconnaissance de leur diplme et un français trop rudimentaire pour faire carrière dans cette langue. L’achat d’un dépanneur en région revient pour les Chinois《 s’acheter un emploi 》 et constitue une solution de rechange pour éviter la marginalisation économique. Il leur permet aussi d’acquérir l’autonomie financière et d’être leur propre patron. 《 Et c’est dans leur mentalité de travailler pour eux, ajoute Dong Mei Guo, courtière immobilière d’origine chinoise. Ce sont souvent des professionnels qui ne peuvent pas travailler dans leur domaine avec la barrière de la langue, mais qui peuvent facilement opérer un dépanneur. 》*Ibid.Comme l’explique aussi Yves Servais, président de l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec (AMDEQ) : 《 Ce sont des entrepreneurs dans l’me et ils ne veulent pas vivre aux crochets de l’État. 》*Stéphanie Gendron, 《 1 dépanneur sur 2 appartient des Asiatiques Québec 》, Journal de Québec, 25 avril 2015.http://www.journaldequebec.com/2015/04/25/1-depanneur-sur-2-appartient-a-des-asiatiques-a-quebec. Page consultée le 5 mai 2017.

Les Chinois ne se retrouvent pas seuls dans cette situation. Beaucoup d’immigrants qualifiés sont choisis par le gouvernement du Québec en raison de leur connaissance du français, mais leur niveau linguistique est insuffisant pour occuper un emploi qui correspondraitleur formation ouleur expérience. Pour d’autres, ce qui pose problème, c’est une expérience d’emploi au Canada. Ils doivent attendre parfois plusieurs années avant d’obtenir un premier emploi dans leur domaine au Canada. Les employeurs sont souvent hésitantsembaucher un candidat détenteur d’un diplme étranger et qui a acquis l’essentiel de sa formation ou de son expérience professionnelle dans un autre pays*Valérian Mazataud, 《 Docteur ès dépanneurs 》, Le Devoir, 31 mars 2012. http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/346375/docteur-es-depanneurs. Page consultée le 5 mai 2017.. Bien que le taux de chmage diminue avec la durée de séjour, de nombreux immigrants n’ont pas le luxe d’attendre plusieurs années avec une famillecharge. Devenir travailleur autonome constitue alors la solution. Ainsi, en 2016, 20,2% des immigrants arrivés depuis dix ans sont des travailleurs autonomes, 12,7% de ceux qui ont résidé entre 5 et 10 ans au Québec et 8,1% de ceux dont l’arrivée remontemoins de cinq ans*Christine Beausoleil, Fiche synthèse sur l’immigration au Québec — 2015, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Direction de la planification, de la recherche et des statistiques, 2016, p. 6. http://www.midi.gouv.qc.ca/publications/fr/recherches-statistiques/FICHE_syn_an2015.pdf. Page consultée le 21 mai 2017..

Dans le cas des Chinois, ils achètent les dépanneursdes propriétaires vieillissants qui souhaitent s’en départir et qui sont ravis de trouver des acquéreurs. En effet, parmi la population en général, posséder un dépanneur n’est pas considéré comme un emploi de rêve. Il exige de nombreuses heures de travail et génère peu de profit. Les Chinois profitent donc d’une aubaine, alors qu’il y a peu d’acheteurs et que les tenanciers de dépanneurs sont prêtsvendre souventrabais. Les enfants des propriétaires de dépanneur ont vu leurs parents travailler d’arrache-pied pendant des années pour maintenir l’entrepriseflot et ils sont peu intéresséss’occuper de l’entreprise familiale dans les mêmes conditions*Stéphane Dussault, op. cit.. L’achat du dépanneur de Noella Duval et Jean-Marc LaplanteRivière-Bleue dans le Bas-Saint-Laurent par un couple de Chinois de Pékin apparat comme un cadeau du ciel. Comme ils le font remarquer : 《 Qui, de nos jours, veut travailler sept jours sur sept? Qui a assez économisé pour avoir de l’argent dans le but d’investir? Ça ne court plus les rues. Eux, ils sont prêtscela. 》*Ibid. Voir aussi Stéphanie Gendron, 《 Une famille chinoise sauve un dépanneur du Bas-Saint-Laurent 》 Journal de Québec, 25 avril 2015. http://www.journaldequebec.com/2015/04/25/une-famille-chinoise-sauve-un-depanneur-du-bas-saint-laurent. Page consultée le 15 mai 2017.

Parmi les marchés visés par les nouveaux acquéreurs, la région de la ville de Québec — la capitale provinciale,ne pas confondre avec le nom de la province —, la Beauce et les Appalaches-Chaudières sont parmi les plus prisées. Entre 2010 et 2015, le nombre de dépanneurs détenus par les Chinois dans la région de Québec est passé de ... 090! L’arrivée de ces nouveaux immigrants-entrepreneurs se fait parfois de boucheoreille. Yaping Xing, propriétaire d’un dépanneur dans le quartier CharlesbourgQuébec, était directrice d’une agence de voyages et son mari était ingénieur. Incapables de trouver un emploi dans leur domaineMontréal, ils ont imité un ami qui avait acquis un dépanneur dans la ville de Québec et qui les a conseillés dans l’achat d’un commerce*《 De plus en plus de dépanneurs détenus par les Chinois Québec 》, 3 février 2015. Ici-Radio-Canada. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/705045/immigrants-depanneurs-francisation. Page consultée le 21 mai 2017.. Parfois, la réputation des Chinois les précède. Les propriétaires québécois communiquent avec l’AMDEQ pour qu’elle les mette en contact avec des acheteurs chinois potentiels*Yves Therrien, 《 Dépanneurs détenus par des asiatiques, un phénomène en croissance 》, Le Soleil, 19 avril 2013. http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/201304/18/01-4642405-depanneurs-detenus-par-des-asiatiques-un-phenomene-en-croissance.php. Page consultée le 12 mai 2017..

V. Vie de dépanneur

La vie de propriétaire de dépanneur n’a pas que des avantages et possède une face cachée que les immigrants chinois ne tardent pasdécouvrir. C’est un travail épuisant de treizeseize heures par jour, sept jours par semaine, 365 jours par année. De plus, la marge de profit est très limitée. Sur 100 dollars de recettes, un dépanneur enregistre en moyenne un bénéfice net de 13 $*Histoire de dépanneur, Office national du film. http://blogue.onf.ca/blogue/2012/03/30/histoire-de-depanneur/. Page consultée le 13 mai 2017.. Cette précarité permet difficilement de prendre des congés ou d’embaucher un employé qui augmenterait les cots de fonctionnement. Chaque jour perdu prive le propriétaire d’une source de revenu et fragilise la viabilité financière de son dépanneur. Ainsi, bien des propriétaires ne consentent qu’une seule journée de congé par année, le jour de No⊇l, qu’ils passent en famille*Stéphane Dussault, op. cit..

Le dépanneur est avant tout une entreprise familiale qui s’appuie sur le travail du mari et de son épouse. En général, les conjoints se relèguent, l’un s’occupant de la clientèle, l’autre, le plus habile avec le français ou l’anglais, règle la comptabilité, les problèmes d’administration ou l’approvisionnement de la marchandise. Les enfants, scolarisésl’école et parlant parfaitement français, sont un pilier de l’entreprise familiale et jouent un rle essentiel dans le bon fonctionnement du dépanneur comme appeler les fournisseurs qui parlent peu ou pas l’anglais pour approvisionner le dépanneur en produits de vente.

Le dépanneur représente aussi des rêves brisés, des espoirs déçus et des promesses non livrées. Médecin, infirmier, comptable, ingénieur, chercheur en microbiologie, pharmacien, agent d’assurances, agent de voyage, employé de banque, commerçant, professeurl’université, ils ont tous rêvé pour la plupartpoursuivre leur carrière au Canada et mener une vie plus tranquille. Au lieu d’une promotion sociale, ils ont plutt subi un processus de déqualification et, contre mauvaise fortune bon cur, ils se sont reconvertis dans le commerce de l’alimentation et du détail qui tout en leur permettant de bien vivre ne leur a pas assuré la prospérité ni la qualité de vie attendue encore moins de réaliser leurs ambitions professionnelles. Toutefois, peu songentrentrer considérant que leur décision de venir au Canada était finale. En immigrant, ils cherchaient avant touts’ouvrirde nouveaux horizons, vivre une nouvelle aventure*Yves Therrien, op. cit..

Pour certains, le dépanneur constitue une étape transitoire en attendant de décrocher un emploi mieux rémunéré et plus conformeleur parcours professionnel. Toutefois, cette étape transitoire peut s’éterniser avec les années, alors que les propriétaires de dépanneurs ont peu de chance de trouver un emploi dans l’ge de la cinquantaine avec un français approximatif. Pour d’autres, l’achat du dépanneur permet d’acquérir un fonds de commerce plus ou moins rentable et par la suite pouvoir investir le capital dans des commerces de plus grandes envergures et plus profitables. Ainsi, pour épargner des cots, les immigrants chinois achètent le dépanneur et louent l’étage au-dessus pour loger leur famille. Après plusieurs années, ils achètent le btiment au complet pour ensuite le vendre plus tard avec profit et réinvestir leur pécule dans une entreprise plus rentable*Valérian Mazataud, 《 L’intégration au coin de la rue, Au Québec, un dépanneur sur six est géré par un immigrant chinois 》, Le Devoir, 31 mars 2012 http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/346441/l-integration-au-coin-de-la-rue. Page consultée le 12 mai 2017.. Toutefois, le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Beaucoup de propriétaires chinois parviennentsurvivre péniblement avec leur dépanneur, tandis que pour d’autres l’histoire se termine mal comme cette femme de Montréal qui a été obligée de fermer après dix ans et de travailler comme employée pour le dépanneur de ses amis : 《 On n’a aucune marge de manuvre. Je travaillais 16 heures par jour avec mon mari, mais quand mon père est décédé et que j’ai dme rendre en Chine, ç’a été le coup de grce. 》*Stéphane Dussault, op. cit.

Néanmoins, pour certains, l’《 aventure 》 est plus satisfaisante commel’Épicerie Laplante de Rivière-Bleue au Bas-Saint-Laurent où s’est établi Puliang Yi pour faire des affaires. Originaires de Pékin, sa femme et lui ont choisi le Québec pour avoir une meilleure qualité de vie. De plus, ses enfants fréquentent l’école primaire du village et y sont maintenant bien intégrés, insiste-t-il : 《 Ils ont beaucoup d’amis ici. C’est bon!》*Jasmin Dumas, 《 Ils adorent la région, des marchands chinois bien établis au KRTB 》, TVA CIMTC, Nouvelles, 23 mars 2017.http://cimt.teleinterrives.com/nouvelle-alaune_Des_marchands_chinois_bien_etablis_au_KRTB-32878. Page consultée le 18 mai 2017.

Ces familles chinoises partagent entre elles la même opinion : ne jamais laisserleurs enfants le dépanneur en héritage. Le dépanneur sertéconomiser des sous pour l’éducation des enfants afin qu’ils échappent au sort de leurs parents et entreprennent une carrière professionnelle pleine de succès. En fait, les dépanneurs deviennent un placement pour permettrela génération suivante de se tailler une place enviable dans la société québécoise. Ainsi, Xiang Lu, propriétaire d’un dépanneurMontréal ne regrette rien : 《 Je suis arrivée ici37 ans. Ma priorité, c’est l’éducation de mes enfants, pas ma réussite professionnelle. Je ne regrette pas mon emploi précédent, l’important c’est l’éducation, peu importe le poste qu’on occupe, ce qu’on a appris ne nous quitte jamais.》*Valérian Mazataud, 《 Docteur ès dépanneurs 》, Le Devoir, 31 mars 2012. http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/346375/docteur-es-depanneurs. Page consultée le 18 avril 2017.Force est de constater que les jeunes de la seconde ou de la troisième génération, diplmés des universités québécoises et parlant couramment trois langues — chinois, français et anglais — ne rencontrent pas les mêmes difficultés ni ne suivent les traces de leurs parents en se consacrant avec succèsdes carrières dans les affaires, les sciences, le droit, la médecine, les arts et même la politique*Au sujet de la nouvelle génération de Sino-québécois, voir Julie Barlow, 《 Voici les nouveaux Sino-québécois 》, Magazine L’Actualité, 5 juin 2013. http://lactualite.com/societe/2013/06/05/voici-les-nouveaux-sino-quebecois/. Page consultée le 18 avril 2017..

VI. Les dépanneurs chinois se mettent au français

Toutefois, l’une des premières difficultés que rencontrent les Chinois surtout dans leurs rapports avec la clientèle est de nature linguistique. Dans des régions, parfois presque100% francophone, le fait de s’adresser uniquement en anglaisses clients peut revêtir pour ceux-ci un caractère offensant. En effet, l’histoire du Québec a été marquée par la domination économique d’une bourgeoisie anglophone sur les masses ouvrières francophones qui ne cachait pas parfois une certaine condescendance, voir un mépris, envers les travailleurs francophones. Cette partie de leur histoire a laissé des empreintes douloureuses dans la mémoire collective des francophones et le fait de ne pas parler français de la part des immigrants est interprété souvent comme un refus par la majorité de reconnatre le fait français ou de s’intégrerla société francophone. Les propriétaires chinois qui s’adressentleurs clients francophones en anglais sont souvent peu au fait des codes culturels de la société et de ces sensibilités historiques et peuvent essuyer le mécontentement des habitants d’une localité qui réclament d’être servis dans leur langue.

En 2012, l’AMDEQ a signé une entente avec le ministère de l’Immigration pour décerner des certificats de francisation aux propriétaires de dépanneurs qui accepteraient de suivre gratuitement une formation linguistique. Des propriétaires de dépanneurs, mais aussi d’autres petites entreprises comme des motels, se sont inscrits volontairement aux cours de niveau débutant ou intermédiaire*Yves Therrien, op. cit.. L’Association fournit le local et le ministère paie le salaire du professeur. Les cours sont offerts par blocs de trois heures deux fois par semaine. Depuis quatre ans, le tiers des membres d’origine chinoise ont participé au programme de façon volontaire, soit plus d’une centaine de personnes*《 De plus en plus de dépanneurs détenus par les Chinois Québec 》, 3 février 2015. Ici-Radio-Canada. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/705045/immigrants-depanneurs-francisation. Voir aussi Isabelle Porter, 《 Les dépanneurs chinois se mettent au français 》, Le Devoir, 11 mars 2017. http://www.ledevoir.com/politique/quebec/493725/les-depanneurs-chinois-se-francisent. Page consultée le 25 mai 2017..

Conclusion: Les Chinois dans les régions du Québec : quelle trace?

Les immigrants chinois ont laissé beaucoup derrière eux en venant au Québec. Une vie confortable, une carrière, un statut social, la famille, les amis. Le dépanneur a constitué une stratégie pour certains d’entre eux pour préserver leur autonomie financière et la satisfaction d’être leur propre patron. Ce qu’ils ont perdu en déqualification, ils l’ont sans doute gagné en qualité de vie en partant vers les régions du Québec. En achetant un commerce, ils n’ont sans doute pas réalisé leurAmericanDream, mais ils ont évité ce qui apparat pour eux le pire, soit leur prolétarisation dans le travail en usine. Ce faisant, ils représentent un rouage essentiel dans l’économie régionale en assurant le maintien de services au sein de collectivités en déclin.

Au terme de ce portrait d’un phénomène peu connu, il convient de se demander quelle sera la contribution dans les prochaines décennies de ces Chinois qui ont choisi de s’insérer dans le cur du Québec francophone. Trop peu nombreux pour tenter d’ériger une société parallèle comme dans lesChinatownsdes grands centres urbains ou pour influencer la société d’accueil durablement par la force du nombre, on peut penser que leur contribution sera plutttitre individuel. Sans doute ces parents venus de Chine pour refaire leur vie dans le Québec des régions auront-ils léguéleurs enfants en héritage une expérience de vie et un parcours parfois parsemé d’échecs, de déceptions et de désillusions, certes, mais ils leur offriront aussi un témoignage de résilience, de détermination et de ténacité. Un legs inspirant pour leurs enfants qui sauront faire profitertitre de professionnels et de citoyensleurs collectivités d’adoption ce capital de grande valeur et les aiderrelever les grands défis que les régions du Québec doivent affronter comme le vieillissement de la population, la délocalisation des industries, la raréfaction des ressources naturelles ou la migration des jeunes vers les villes. Bref, peut-être seront-ils les leaders régionaux de demain prouvant que le parcours de leurs parents s’est avéré, malgré les apparences, un succès d’intégration des immigrants chinois dans le Québec francophone.

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