Le ciel s’ouvre pour l’Afrique
2018-03-09parAggreyMutambo
par Aggrey Mutambo
L’Union africaine s’engage à intégrer le transport aérien sur le continent
En Afrique, la patience est une qualité essentielle pour les voyageurs aériens. Il n’est pas rare qu’il faille plus de temps pour voler d’une partie à l’autre du continent que pour voyager en Europe ou en Amérique. Les longs arrêts et les retards occasionnés par des pannes de courant, les billets coûteux et les lois protectionnistes strictes font du voyage aérien un véritable cauchemar.
En fait, plusieurs Africains ont l’habitude de passer par l’Europe pour se rendre dans un autre pays du continent, ce qui peut rallonger leur voyage de sept heures ou plus.
L’Union africaine (UA) semble vouloir mettre un terme à cette situation. En janvier,rassemblés au siège de l’UA à Addis-Abeba,les dirigeants et les experts de l’aviation ont adopté une déclaration visant à supprimer ou du moins atténuer les problèmes plombant le transport aérien africain.
Connu sous le nom de Marché unique du transport aérien africain (MUTAA), ce programme de l’UA espère « uni fi er » le transport aérien en Afrique à travers la« libéralisation de l’aviation civile », dans le cadre d’un programme d’intégration à long terme.
Intégrer les opportunités continentales
Le Traité du MUTAA, déjà signé par 23 des 55 membres de l’UA, y compris les grandes économies comme l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigéria et l’Égypte, fait partie de l’Agenda 2063 de l’UA, cherchant à bâtir un continent prospère et plus intégré dans le demi-siècle à venir.
Abou-Zeid Amani, la commissaire aux Infrastructures et à l’Énergie de la Commission de l’UA, a déclaré aux journalistes que le programme, une fois rati fi é, permettra aux membres d’adopter leurs propres règlements en matière de concurrence loyale,de protection des consommateurs et de normes de sécurité, en plus de réduire les tarifs qui limitent l’accès à leurs marchés.
« Cela aidera les pays signataires à stimuler leur économie, continuera à promouvoir le commerce transfrontalier, et donnera un formidable coup de pouce au tourisme, a-telle déclaré. Faciliter les voyages aériens est un pas positif vers l’intégration du continent et nous espérons que tous les membres signeront ce document. »
Les experts du domaine de l’aviation sont généralement d’avis qu’il était impossible pour le secteur africain de continuer à fonctionner dans l’ancien système. Selon l’Association internationale du transport aérien(AITA), le nombre de passagers aériens sur le continent pourrait doubler dans les deux prochaines décennies, pour atteindre 274 millions en 2036. Cela représente un terrain fertile pour les nouveaux entrants et les opérateurs existants.
Mais tout n’est pas rose : selon l’AITA, les compagnies aériennes africaines pourraient perdre jusqu’à 100 millions de dollars en 2018. Cela s’explique par les lourdes taxes qui frappent les compagnies aériennes,visant principalement à fi nancer les subventions pour le carburant. La plupart des compagnies aériennes sont lourdement endettées et doivent généralement faire affaire avec des monopoles pour des services comme la restauration, les réparations et le ravitaillement. En outre, le manque d’aéroports à travers l’Afrique signi fi e que les compagnies aériennes ne peuvent pas maximiser leur potentiel en multipliant les connexions.
« Le statu quo n’est pas une option pour l’aviation africaine. Ce secteur est un facteur économique clé offrant un grand potentiel. Mais nous avons besoin de politiques appropriées pour soutenir l’industrie », a déclaré Raphael Kuuchi, vice-président de l’AITA en Afrique, aux délégués du MUTAA en marge du 30eSommet de l’UA, qui s’est tenu du 22 au 29 janvier à Addis-Abeba.
Gagner du temps et de l’argent
Le continent compte près de 250 compagnies aériennes, certaines opérant des trajets régionaux, mais la plupart se contentant de vols locaux. Seules deux compagnies aériennes, Kenya Airways et Ethiopian Airlines,offrent des correspondances avec plus de la moitié des destinations sur le continent.
L’AITA a récemment réalisé une étude sur les avantages potentiels d’une politique de« ciel ouvert » pour les économies de 12 pays africains. Les résultats sont surprenants. « Au moins 1,3 milliard de dollars de PIB supplémentaire seraient injectés dans ces économies et 155 000 emplois supplémentaires seraient créés », dit M. Kuuchi.
De plus, l’étude montre aussi que les
r apport sur les avantages du MUTAA
Prévisions des passagers aériens dans certains pays après le MUTAA (en miIIions)
Mouvements prévus de passagers avant et après le MUTAA
Indice d’ouverture sur les visas
passagers béné fi cieront d’une augmentation de 75 % de leurs services directs et qu’ils pourraient économiser jusqu’au tiers du prix actuel d’un billet d’avion, pour un total de 500 millions de dollars par année. « Nous allons gagner du temps. Il sera plus pratique de voler et 5 millions de passagers aériens supplémentaires s’ajouteront », explique l’étude.
Selon certains observateurs, la politique du « ciel ouvert » nécessitera plus d’installations. Le boom du domaine de la construction observé à travers le continent et alimenté par des donateurs comme la Chine, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD), est donc bienvenu.
« L’industrie de l’aviation en Afrique va se développer très rapidement, car il y a un grand potentiel d’expansion, a dit Ritz Akkum, directeur des opérations de l’Autorité aéronautique du Cameroun, à CHINAFRIQUE. Mais nous avons besoin de plus d’investissements dans les infrastructures aéroportuaires, ce qui sera le cas, car de plus en plus de pays africains prennent conscience du rôle central de l’aviation dans la croissance économique. »
Un différent son de cloche
Malgré les opportunités offertes par le MUTAA, tous ne sont pas convaincus de son impact positif. Selon le journal nigérian This Day, Nogie Meggison, président des opérateurs aériens du Nigéria, considère qu’avant de prendre une décision, l’équipe technique du Nigéria aurait dû être consultée a fi n de pouvoir examiner en quoi les politiques allaient avantager le pays.
« Nous devons penser au Nigéria d’abord,a déclaré M. Meggison. Quels avantages le Nigéria a-t-il à gagner d’une ouverture du ciel ? Les compagnies aériennes nationales ne sont pas à l’aise avec cette politique. Béné fi cierons-nous de visas pour voyager partout en Afrique avant d’ouvrir notre ciel ? Les taxes au Nigéria et dans les autres pays sont-elles uniformes ? »
Pour sa part, Fola Akinkuotu, directeur de l’Agence nigériane de gestion de l’espace aérien, explique que le Nigéria s’est engagé à mettre pleinement en œuvre le MUTAA. Il considère que l’Afrique va saisir l’occasion offerte par le MUTAA pour améliorer la connectivité de son tra fi c aérien et augmenter le nombre de passagers au cours des prochaines années.
« Nous devons tous nous efforcer de réaliser une pleine mise en œuvre et opérationnalisation du MUTAA. Nous devons nous améliorer pour devenir un concurrent mondial efficace dans le domaine de l’aviation. À cet égard, le Nigéria est l’un des 23 États qui se sont engagés solennellement à mettre en œuvre le MUTAA d’ici 2018. »
Les aéroports régionaux clés
Prouvant à quel point des installations et des politiques aéronautiques améliorées pouvaient créer des emplois, la BAD a récemment co fi nancé l’aéroport international Blaise Diagne, d’une valeur de 652 millions de dollars, au Sénégal. Lorsque le projet a été achevé en décembre l’année dernière,les responsables de la BAD ont annoncé que 3 000 emplois locaux avaient été créés durant la construction, en plus de 427 emplois à temps plein après le début des opérations.
« Cet aéroport améliorera la connectivité régionale, réduira les coûts de transport, et aidera la croissance et la transformation de l’économie, a dit le président de la BAD,Akinwumi Adesina.
Le nouvel aéroport comprend des terminaux de 42 000 m2et 12 800 m2d’espace supplémentaire pour le fret. Il est décrit par la BAD comme « une solution à long terme pour l’activité économique intra africaine et une solution au problème récurrent de faibles niveaux de connectivité aérienne en Afrique de l’Ouest et centrale ».
Ces régions sont considérées comme « les plus désavantagées » dans ce domaine par la BAD, malgré une énorme demande due à l’absence de compagnie aérienne interrégionale pouvant transporter les passagers vers d’autres parties du continent.
Et le Sénégal n’est pas le seul pays à construire des aéroports. Le Rwanda, le Kenya et l’Éthiopie investissent des sommes massives dans ce secteur. En novembre 2017, le gouvernement kenyan a annoncé son intention d’ajouter une deuxième piste à l’aéroport principal de Nairobi. Avec un coût de 160 millions de dollars, le projet devrait voir une augmentation du nombre de passagers, d’autant plus que tous les Africains béné fi cieront de visas à l’arrivée au Kenya. CA
*r eportage du Kenya