Un nouveau regard sur le toit du monde
2017-08-11FRANOISDUB
FRANÇOIS DUBÉ*
Un nouveau regard sur le toit du monde
FRANÇOIS DUBÉ*
Une écrivaine française veut rétablir la véritable image du Tibet dans son nouveau livre.
Marcher à contre-courant des idées reçues ressemble parfois à l’escalade d’une montagne. Le parcours est souvent ardu, mais celui qui ose se lancer dans un tel périple en sort toujours grandi, plus fort et avec une nouvelle vision du monde.
C’est exactement la leçon que l’on tire du dernier livre de la philosophe et écrivaine française Sonia Bressler, intituléÀ la découverte du Tibet, sorti aux Éditions Horizon Oriental à Paris le 24 mars dernier.
Il s’agit du troisième livre de Bressler sur le Tibet, aprèsVoyage au cœur du TibetetÀ travers le Tibet, respectivement parus en 2013 et 2014. Dans ce nouveau livre, l’écrivaine donne directement la parole aux Tibétains en décrivant ses rencontres avec des artistes, des entrepreneurs, des médecins et des moines qui nous révèlent les nouvelles facettes de cette région à la fois connue et méconnue des Occidentaux.
Ses voyages successifs dans la région au cours des dix dernières années ont permis à cette exploratrice des temps modernes de constater par elle-même les progrès accomplis par le Tibet, que ce soit en matière d’éducation ou de développement social et culturel. Bressler a accepté de s’entretenir avecLa Chine au présentsur son histoire d’amour avec le Tibet, les mythes et malentendus qui sont souvent liés à cette région du monde, ainsi que ses espoirs pour l’avenir du Tibet.
Aperçu d’un paysage par la fenêtre du train le long de la ligne ferroviaire Qinghai-Tibet, aussi surnommé la « route céleste »
Lever le voile
Pour Bressler, le Tibet était avant tout un endroit mythique, un « rêve d’enfant ». Un rêve qui se réalisera fi nalement à l’été 2007, durant lequel elle se fi xe comme objectif de rejoindre le Népal de Beijing en « traversant le Tibet ». En cheminant, elle se donne pour dé fi de comprendre les enjeux de civilisations et l’histoire de la pensée de ces contrées lointaines, tout en se laissant emporter par la beauté des paysages.
C’est ce premier voyage qui révèlera à Bressler cette région magni fi que et qui la poussera à vouloir faire mieux connaître le vrai visage du Tibet aux étrangers.
« Après ce premier périple, que j’avais organisé jusqu’en Inde, nous sommes rentrés avec des émotions très fortes que suscitent de tels voyages. Mais moi, j’étais restée sur le plateau tibétain. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de remettre en question mon savoir et mes connaissances. Il me fallait faire table rase de mes idées reçues », dit-elle.
La confrontation à la réalité du terrain au Tibet pousse aussi l’auteur à remettre en question ses propres certitudes et préconceptions. C’est le commencement d’une aventure extraordinaire, expliquet-elle.
« Je vous donne un exemple très simple : pour tout Occidental, le plus haut sommet du monde s’appelle l’Everest. Savez-vous d’où vient ce nom ? C’est le nom de Sir Georges Everest qui a été apposé en 1865 sur ce sommet déjà désigné par les Anglais comme le Peak XV (en 1852). Mais un nom existait déjà : Qomolangma ou « Déesse mère du Monde » (Sagarmathaen népalais). Sir Georges Everest est un géographe qui n’aurait sans doute pas lui-même mis son nom sur ce sommet », dit-elle.
Cette réalisation l’amène à poursuivre sa ré fl exion sur le langage et les systèmes sociaux et sociétaux de cette partie du monde. « Ainsi s’écrit l’histoire du monde, avec des mots qui véhiculent des idées et surtout des idéologies. Si on déroule le fi l du langage, alors on se rend compte que notre vision du Tibet est totalement faussée. Forcément quand on se rend au Tibet, on doit oublier nos idées reçues et ouvrir nos yeux sur la réalité du Tibet. »
Des rencontres marquantes
Au-delà de l’histoire et de la géographie, on sent dans les livres de Bressler un amour sincère pour les Tibétains. Quand l’écrivaine voyage, c’est avant tout pour écouter les histoires, leur donner de l’espace. « Dans un monde qui va trop vite, nous devons écouter, écouter, écouter, écouter, » aime-t-elle dire.
Et c’est ce qu’elle fait lors de ses voyages successifs dans la région. D’abord, à l’hiver 2012, elle se rend pour la seconde fois sur le toit du monde avec un désir de « comprendre, rencontrer, découvrir ».
« Mon parcours me mène de Lhassa à la base de Qomolangma, jusqu’à la découverte des temples de Lhassa et de Shigatsé. Ce second voyage a con fi rmé, à mes yeux, une hypothèse de recherche : nous (les Occidentaux) avons un problème avec notre vision de l’histoire. Cette con fi rmation m’a permis de lancer de nouvelles recherches sur le langage et ses usages dans les mécanismes d’in fl uence. »
Son troisième voyage, plus court, a été réalisé en juillet 2016, à l’occasion du 4eForum sur le développement du Tibet, durant lequel elle échange avec des Chinois et des étrangers sur leurs visions et compréhensions du Tibet.
« Il faut aller à la rencontre de ceux qui, quotidiennement, font le Tibet. Nous ne devons pas mettre le Tibet dans une bulle isolée du monde. Nous ne devons pas en faire un paradis sur terre où l’on pourrait renouer avec la nature et des pratiques ancestrales. Nous devons veiller à ce que le Tibet continue son développement sans pour autant oublier son passé. L’harmonie et l’équilibre doivent être les mots clefs pour continuer le développement du Tibet », dit-elle.
Un témoignage d’un vieil homme tibétain d’une soixantaine d’années, rencontré dans une maison de retraite en 2012, lui a laissé un souvenir particulièrement émouvant.
« En revenant en France, j’ai pu mesurer la force de ses mots et de son parcours. Je n’oublierai jamais cette phrase qu’il ma dite : “Sans l’évolution du Tibet, je serai mort en errant sur les routes pour ne pas être un poids pour ma famille. Mais aujourd’hui je suis ici, je me suis remarié, j’ai du confort et j’ai de quoi manger.” »
Briser les mythes
Dans son nouveau livre comme dans ses écrits précédents, l’une des priorités de Bressler est de combattre les « idées reçues » sur le Tibet, bien implantées dans certains milieux. Pour ce faire, elle se doit de rétablir les faits face aux opinions, seul moyen de résoudre le problème de décalage entre la réalité sur le terrain et les déformations diffusées dans les médias de masse.
« C’est un peu comme lutter contre un océan déchaîné avec une cuillère à soupe, voire même une petite cuillère. Mais il nefaut pas reculer face à cet objectif », ditelle.
Tout au long de ses voyages dans la région autonome, Sonia Bressler a pu découvrir et échanger avec les gens qui peuplent cette région.
Sonia Bressler pose avec un moine bouddhiste tibétain au Tibet.
Comment faire, alors ? Il faut repenser la manière dont l’histoire de la Chine est vue et comprise en France et ailleurs en Occident.
« Nous devons écrire l’histoire de la Chine par des échanges entre Occidentaux et Chinois. Nous devons expliquer l’histoire de la Chine avec nos mots (sans les a priori ou en explicitant ces idées reçues), explique-t-elle. Nous devons déconstruire les idées reçues. Ainsi, nous pourrons permettre aux futures générations de s’intéresser autrement à la Chine. Les a priori, et les idées reçues tomberont d’eux-mêmes, par les échanges. »
Il faut aussi, par le fait même, repenser le Tibet. Pour ce faire, il peut être utile d’utiliser à bon escient la réputation du Tibet comme paradis terrestre – un « Shangri-La » – non pas pour idéaliser la région et son peuple, mais plutôt pour l’inscrire dans la voie de la modernité.
« Je crois que le Tibet restera toujours un ‘‘Shangri-La’’. Maintenant, il est important que nous donnions à cette expression une nouvelle orientation. Une orientation loin d’une théocratie, où la diversité, l’égalité des droits règnent, où les enfants peuvent devenir médecin, professeur, artiste, etc., et pas seulement moine ou esclave. En d’autres termes, le “Shangri-La” de demain doit devenir un exemple pour l’humanité entière. Un Tibet moderne qui vit d’une économie harmonieuse fondée sur les échanges. Une étape incontournable de la Route de la Soie contemporaine. »
Sonia Bressler échange avec les enfants d’une école primaire à Lhassa.
Un équilibre à atteindre
Loin de fuir les débats, l’auteur plonge à pieds joints dans certaines questions qui touchent l’avenir du Tibet. Bressler offre notamment une ré fl exion intéressante sur la négociation d’un « équilibre » entre modernité, progrès et développement d’un côté, et tradition de l’autre. « Sans opposer les deux aspects, il faut savoir les marier harmonieusement. »
Cela est possible en mettant en avant les savoir-faire ancestraux, qui permettront à la Chine et la région du Tibet d’ouvrir une voie vers un développement vert, partagé et respectueux à la fois du passé et des générations à venir, explique Bressler.
« En défendant ces savoirs, la Chine pourra développer un éco-tourisme, et permettre l’équilibre entre les populations. Le développement pourra ainsi continuer sans heurter la tradition. Il y a mille et un savoirs traditionnels au Tibet : élevage, festival, art, musique, accompagnement en montagne, fabrique de laine, de bijoux, beurre de yak, etc. Ce sont ces savoirs qui doivent servir à l’économie plus mondialisée de la région. »
Bressler se montre d’ailleurs optimiste quant à l’avenir du Tibet, notamment en raison des efforts considérables du gouvernement chinois pour développer cette région.
« Il est certain également que l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie contribuera à faire du Tibet un nouveau pôle de l’humanité. C’est cela que nous devons défendre : un Tibet contemporain au cœur d’une Chine en mouvement, où chaque ethnie a sa place, où chaque tradition fait vibrer et évoluer la Chine dans son ensemble. C’est une initiative considérable qui sera le pivot de la paci fi cation du monde. »
Actuellement, Bressler se focalise sur l’enseignement, l’écriture, la photographie, et le développement des liens entre la Chine et la France. Dans ce but, elle a également mis en place la maison d’édition La Route de la Soie Éditions en janvier 2017, dont le projet consiste à tisser des liens entre les savoirs et les cultures.
En fi n, quels conseils l’écrivain donnet-elle à ceux qui aimeraient, comme elle, découvrir et explorer le « troisième pôle » de la planète ?
« Mon conseil est assez simple : prendre le temps. On apprend bien plus en allant au marché qu’en visitant des temples. Prendre le temps de déambuler dans la foule, de savourer une soupe, de rire avec les habitants de chaque ville traversée, de méditer les yeux grands ouverts devant les somptueux paysages. Et surtout, le seul conseil : ouvrir les yeux de son cœur. »
*FRANÇOIS DUBÉ est un journaliste canadien basé à Beijing.
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