Nourrir les poissons et sauver le poète
2017-08-07parLisaCarducci
par Lisa Carducci
Culture et société De mets et de fêtes
Nourrir les poissons et sauver le poète
par Lisa Carducci
Préparation en grande quantité.
LE 5 du cinquième mois lunaire, soit le 30
mai de cette année, la Chine célèbre une fête très populaire : leDuanwu, ou fête des Bateaux-dragons. On est déjà à la moitié de l’été. Depuis des temps très anciens, une ethnie qui vivait dans les actuelles provinces du Jiangsu et du Zhejiang nourrissait son totem – le dragon – en lui offrant deszongzi. Ailleurs, on jetait dans le fleuve des miroirs de bronze décorés de dragons tordus dans le but de s’assurer la pluie.
Aujourd’hui, pour certaines ethnies, c’est le jour où les partenaires se choisissent ou se marient. À Jingzhou, au Hebei, la course des bateaux-dragons est internationale ; le plus grand bateau-dragon du monde mesure 69 m de long et pèse 23 tonnes; il peut prendre à bord 178 personnes.
ll y a 7 000 ans, on creusait des troncs d’arbres qu’on faisait glisser sur l’eau à l’aide de rames de bois. Les hommes gravaient l’image de leur protecteur– le dragon – sur le bateau ; puis, la forme du bateau même devint celle d’un dragon.
À Shenzhen, dans la province du Guangdong, près de 2 millions de visiteurs arrivent, surtout de Macao et de Hongkong, pour la fête et la course annuelles.
LeDuanwuest aussi la commémoration du poète Qu Yuan, un patriote qui vécut il y a 2 500 ans. Écœuré par la dépravation de l’aristocratie d’État, Qu Yuan proposa des réformes afin qu’on pût choisir des personnes honnêtes et compétentes pour gouverner. Mais il rencontra une forte opposition et fut exilé. Une dizaine d’années plus tard, alors âgé de 62 ans, afin de ne pas voir sa patrie vaincue par l’ennemi, il serra une énorme pierre entre ses bras et se jeta dans le fleuveMiluo(dans le Henan actuel). Les habitants– qui l’aimaient – se mirent à chercher sa dépouille, et afin d’en tenir éloignés les poissons voraces, ils jetèrent des boules de riz dans le fleuve – deszongzi.
Leszongzisont faits de riz glutineux enveloppé dans des feuilles de roseau, de bambou ou de zizanie. De forme triangulaire, les petits paquets sont liés de fils de cinq couleurs permettant de distinguer le contenu, car on peut ajouter au riz des jujubes et du sucre, des pignons, des kakis secs, des amandes, des haricots rouges, des châtaignes, des noix, du gingembre, des fruits confits, du sésame et même de la viande. Sans parler deszongziau jambon de Yangzhou et les minusculeszongzienveloppés de feuilles de châtaignier. Les variétés du Guangdong – au jaune d’œuf salé et émincés de poulet, canard ou rôti de porc, avec des champignons et de la pâte de haricot, enroulés dans des feuilles de lotus, peuvent peser jusqu’à 500 g. Une autre variété très célèbre est celle de Beijing qui contient une tranche de viande grasse entre deux tranches maigres. Durant la cuisson, le gras fond et rend le riz onctueux : le fameuxfei er bu ni. Ces variétés sont aujourd’hui les plus connues.
Voilà pourquoi leszongzisont l’aliment lié à la fête des Bateaux-dragons.
ll n’est pas difficile de confectionner leszongzi; il suffit de regarder un expert, et de l’imiter. Après une ou deux erreurs, on devient aussi expert. De plus, les erreurs ne sont pas dramatiques ; si l’on s’y est mal pris pour l’enveloppage, on défait et on reprend, sans gaspiller ni les feuilles ni le contenu.
Leszongzidoivent cuire longtemps à la vapeur ; c’est pourquoi on les prépare en grande quantité, dans une immense étuveuse. Après refroidissement, on peut les surgeler et en réchauffer quelques-uns si l’on veut. Mais généralement, on ne les consomme qu’à la période duDuanwu. CA