L’initiative des Nouvelles Routes de la Soie :une opportunité à saisir pour la France
2017-07-05ZHENGRUOLIN
ZHENG RUOLIN*
L’initiative des Nouvelles Routes de la Soie :une opportunité à saisir pour la France
ZHENG RUOLIN*
Dans son article signé paru le 27 février 2015 dans le quotidien économique français Les Échos, l’ancien premier ministre français Dominique de Villepin appelle la France à prendre au sérieux l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie et à en tirer profit. Parmi toutes les interprétations que les hommes politiques occidentaux ont formulées concernant cette initiative lancée par le président chinois Xi Jinping, il s’agit de l’une des plus explicites que j’ai eu l’occasion de lire. Quand je parle de cet article à mes amis français, beaucoup trouvent curieux qu’en France, les spécialistes de la Chine n’abordent pas davantage ce sujet. Toutefois, quelques voix se font entendre, à l’image de Lionel Vairon, qui a fait publier son article One Belt, One Road : A Chinese Initiative to Transform the World dans la revue américaine Journal of Sustainable Finance and Banking. Seulement, les sinologues qui, comme Lionel Vairon, comprennent vraiment la Chine, ne sont guère nombreux aujourd’hui.
Le 6 avril 2016, le premier train Chine-Europe reliant la Chine et la France part de Wuhan pour rejoindre Lyon.
Comme je l’ai fait remarquer maintes fois lorsque j’étais correspondant en France, ceux qui sont capables d’appréhender l’âme profonde de la Chine sont le plus souvent des savants qui ne comprennent pas le chinois, à l’instar d’Alain Peyrefitte. De même, de nombreux hommes politiques dotés d’une vision stratégique, comme le général De Gaulle, sont aussi amplement plus clairvoyants que certains prétendus sinologues. L’ancien premier ministre Dominique de Villepin, mais aussi évidemment Jean-Pierre Raffarin, l’un de ses prédécesseurs, ou encore l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, à coup sûr comptent parmi ces personnalités politiques qui connaissent bien, voire comprennent la Chine. Je me demande toujours pourquoi ces politiques français ont une vision de la Chine souvent aux antipodes de celle de ces « spécialistes de la Chine ». Une pensée qui me rappelle les propos de William Martin, célèbre journaliste suisse, dans son ouvrage Il faut comprendre la Chine :
« Si l’on vous dit que Pékin ressemble à Rome, que le temple du Ciel est plus beau que Sainte-Sophie, que la Cité interdite fait penser à Versailles et que l’empereur Qianlong fut le Louis XIV de la Chine, n’écoutez pas, car ces lieux communs, qui vous harcèlent comme le profil de Napoléon au Mont-Blanc, fermeront votre esprit à ce que vous verrez. La vérité est bien plus belle. Pékin ne ressemble à rien. Lorsqu’on arrive en Chine, il faut se défaire de toutes ses idées occidentales sur l’art, l’architecture, la destination des édifices... »
Ces propos ont une signification à la fois claire et profonde : pour comprendre la Chine, il faut en saisir l’essentiel, à savoir son altérité vis-à-vis de l’Occident. Il ne faut pas s’accrocher à son point de vue occidental, mais se mettre à la place de la Chine et observer le pays selon une perspective chinoise. Dès lors, un déclic se produira : on comprendra alors que la Chine, ce pays laïc stricto sensu, souhaite en toute sincérité une coopération mutuellement bénéfique avec le monde.
C’est exactement l’angle de vue qu’a utilisé M. De Villepin pour développer son interprétation de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie et a conseillé à la France de « faire le pari » de cette initiative. De par sa perspicacité, cet homme politique français a pris conscience qu’au fond, cette initiative représente une issue de secours pour l’économie mondiale à la croissance languissante jusqu’à présent. Il voit en elle une possibilité pour la France et l’Europe de tirer un grand profit. Or, en France, voir la Chine d’un œil positif n’est politiquement pas très correct. À nous donc d’applaudir nos amis français pour leur impartialité.
Alors que progresse cette initiative, un moment particulièrement fort est attendu cette année. La Chine organise en mai à Beijing le Forum des Nouvelles Routes de la Soie pour la coopération internationale. Le président chinois Xi Jinping a annoncé cette nouvelle le 17 janvier dernier, lors de la réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos. De toute évidence, la Chine ne prétend pas réaliser cette initiative en solo. Au contraire, elle souhaite composer une symphonie dans laquelle jouent tous les pays aux abords de ces routes. La Chine est prête à esquisser, en coopération avec les autres pays participant au forum, un plan de développement pour cette initiative majeure de coopération internationale, afin d’en donner le cap. Les Nouvelles Routes de la Soie ne correspondent pas à une initiative individuelle de la Chine. Tout comme l’indique M. De Villepin dans son article : « C’est un nouveau récit collectif pour le monde, en panne de projet commun depuis la fin de la Guerre froide et l’échec de la démocratisation libérale à marche forcée. Il s’agit de combler le vide, humain, politique et économique, qui sépare les deux pôles de prospérité du Vieux Monde, Europe et Asie orientale, ainsi que le Moyen-Orient riche en ressources énergétiques, voire plus loin l’Afrique, à travers de nombreux projets d’infrastructures, portuaires, ferroviaires, autoroutières, mais aussi financières et de communication. »
Force est de constater que le monde d’aujourd’hui a connu la montée d’une vague antimondialisation, où un certain nombre de politiques occidentaux se noient dans le nationalisme, voire le populisme. Ne se contentant pas de brandir le drapeau du protectionnisme, certains d’entre eux tentent de déplacer la crise qui fait rage à l’intérieur de leur pays vers l’extérieur, pour qu’elle soit subie par les autres. Comme nous le savons, si la « priorité nationale » va trop loin, le monde risque de voir réapparaître la situation d’avant la Seconde Guerre mondiale, ce qui est extrêmement dangereux. Sur fond des appels « pour » ou « contre » la mondialisation, diverses forces ont émané dans le monde d’aujourd’hui. Même en Occident, terme par lequel nous entendons les pays développés tels que les États-Unis, l’Europe et le Japon entre autres, l’opinion s’est divisée en deux camps : ceux qui continuent à soutenir la mondialisation et ceux qui s’y opposent vigoureusement. Cette dichotomie s’observe même dans les positions des candidats à la présidence française. Dans un tel contexte, la Chine s’est affirmée comme une voix puissante appelant à la mondialisation. Et il est fort probable que son initiative des Nouvelles Routes de la Soie va devenir, comme le prévoit M. De Villepin, un plan d’actions commun au monde. Pour l’Europe, qui se trouve à l’autre bout de ces routes, cette initiative présente une réelle opportunité.
La Chine et l’Europe pourraient nouer des partenariats dans le cadre de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie et procéder à l’exploration des marchés
Dominique de Villepin, ancien premier ministre français, prononce un discours au Forum international sur la coopération entre les six provinces du Centre de la Chine dans le cadre de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie, le 18 mai 2015, à Wuhan (Hubei).
Force est de constater que le monde d’aujourd’hui a connu la montée d’une vague antimondialisation, où un certain nombre de politiques occidentaux se noient dans le nationalisme, voire le populisme. tiers, en Afrique par exemple. Le continent africain, sur lequel vivent un milliard de personnes, représente un marché gigantesque. La Chine et l’Europe y trouveront des intérêts communs et des opportunités de coopération dans des domaines très divers. Ce point, en effet, l’Europe l’avait déjà compris. Preuve en est que les pays européens, en dépit de l’opposition ou la réticence affichées par les États-Unis, ont répondu positivement à l’appel chinois d’adhérer à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. D’autre part, la Chine et l’Europe pourraient également entreprendre des coopérations bilatérales ou multilatérales variées en Moyen-Orient ou en Transcaucasie. Ces coopérations pourront aider les pays musulmans de ces régions à aborder un nouveau tournant dans leur industrialisation pour ainsi redresser leur économie. Naturellement, pour cela, il est nécessaire d’avoir un partenariat sino-européen plus soudé sur le plan de la confiance mutuelle et un partenariat stratégique plus approfondi sur le plan politique. À l’heure actuelle, arrivons-nous à nous servir efficacement des atouts que nous avons en main ? Une question qui concerne nos générations futures. C’est l’Europe qui détient la clé à cette interrogation. Les résultats aux élections des nouveaux chefs d’État ou de gouvernement en Europe, notamment en France et en Allemagne, détermineront les perspectives du développement mondial dans les proches années à venir : soit les pays du monde vont aller vers une coopération plus approfondie ; soit ils vont se replier sur eux-mêmes et s’opposer vivement les uns aux autres, voire s’affronter, au nom de leurs intérêts nationaux.
À partir de cette idée, nous comprenons pourquoi la Chine a toujours affirmé son soutien à l’Union européenne, au moment du Brexit comme aux heures où elle tend à sa désintégration. La Chine veut une UE soudée et collaborative, une UE qui croit à la coopération mutuellement bénéfique, et pas au jeu à somme nulle, et ce, que ce soit entre ses pays membres ou avec les autres pays. Mais pourtant en Europe, certains individus issus des classes moyenne et ouvrière qui vivent de leur travail, voire certains industriels aisés, n’y voient toujours pas clair sur ce point, se croyant victimes de la mondialisation. Ils ne constatent pas que la détresse ressentie à l’intérieur des pays occidentaux n’est pas due à la mondialisation, mais à la victoire du capital sur le travail. S’il y a une chose que les gouvernements doivent endiguer, c’est cette spéculation financière sans limite ; et s’il y a une chose qu’il leur faut soutenir, c’est la valeur du travail même. Comme l’économiste français Thomas Piketty l’a explicitement écrit dans son ouvrage Le Capital au XXIesiècle, il est fort regrettable que la société européenne ne distingue pas clairement ce point et imputent la faute à la mondialisation. Somme toute, lors de la campagne électorale, la xénophobie est devenue non seulement accessible, mais aussi plus facilement tolérée par les masses.
Événement aussi important que les prochaines élections des deux pays pivots de l’UE, le Forum des Nouvelles Routes de la Soie pour la coopération internationale se tient en mai à Beijing. Le forum dressera un bilan global de l’initiative depuis sa proposition il y a trois ans. Cette rencontre sera également l’occasion immanquable pour les pays participants de discuter de l’avancement de cette initiative. Selon moi, le plus important sera de parvenir à un consensus général soulignant que la coopération internationale et le principe du gagnant-gagnant constituent la seule voie à suivre pour l’humanité, tandis que les confrontations et les conflits mènent à l’impasse.
Ce forum et les élections présidentielles françaises auront lieu sur la même période. Le 7 mai, qui va devenir le nouveau locataire de l’Élysée ? Une question capitale. Les électeurs sauront-ils voir plus loin que leurs propres intérêts à court terme ? Un grand homme d’État devrait en effet être à même d’esquisser un plan de développement pour l’avenir de la France et du monde, et de l’expliciter aux électeurs. Qui sera le général De Gaulle de demain pour la France ? Nous sommes dans l’expectative d’une réponse…
*ZHENG RUOLIN est un ancien correspondant à Paris du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai et l’auteur du livre Les Chinois sont des hommes comme les autres aux Éditions Denoël.
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