L'Afrique est belle
2016-05-10
L'Afrique est belle
Le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako dépeint la force de l'Afrique par Rachel Richez
J'ai peint l'Afrique comme elle est,elle est belle, elle est forte.
Abderrahmane Sissako, réalisateur mauritanien
QUAND un réalisateur mauritanien vient
présenter un fiIm sur Ie MaIi en Chine, on ne s'attend pas forcément à voir une saIIe combIe. Mais iI ne s'agit pas de n'importe queI réaIisateur ou de n'importe queI fiIm. Francophones, étudiants en cinéma et autres cinéphiIes étaient réunis aux Archives du fiIm de Chine pour assister à Ia projection de Timbuktu en présence du réaIisateur,Abderrahmane Sissako. Nominé pour I'Oscar du meiIIeur fiIm étranger en 2015, Ie fiIm a remporté sept Césars Ia même année, faisant du réaIisateur Ie premier Africain à obtenir Ie César du meiIIeur réaIisateur. Un fiIm fort puisqu'iI raconte Ia tragique actuaIité du MaIi. Le Mauritanien a en effet choisi d'évoquer Ia prise de Tombouctou, « perIe du désert », par Ies djihadistes en 2012. Marquant I'ouverture des Rencontres du cinéma francophone à Beijing - se tenant du 11 au 29 mars dans 20 viIIes de Chine - Ia projection a été suivie d'un débat entre Abderrahmane Sissako et Yang Chao, céIèbre réaIisateur chinois.
Résistance pacifque
Face à I'intégrisme isIamiste, Ia popuIation résiste comme eIIe Ie peut. C'est cette résistance qui est dépeinte par Abderrahmane Sissako dans Timbuktu. Ainsi, maIgré I'interdiction de jouer de Ia musique,I'incroyabIe voix de Fatou (Fatoumata Diawara)résonne chaque nuit dans Ies rues de Tombouctou. Après Ia prohibition du footbaII, Ies enfants de Ia viIIe font des matchs sans baIIon. Avec un pIaisir intact, iIs dribIent et marquent des buts imaginaires. Sur Ie marché, une vendeuse de poisson s'oppose formeIIement aux nouveIIes Iois des djihadistes qui Iui imposent de porter des gants : « Porter des gants pour vendre du poisson ? Comment je Ies arrose avec des gants ? Nos parents nous ont éIevé dans I'honneur. Sans porter de gants. Ça suffit ! Vous vou-Iez couper des mains ? En voiIà deux. Coupez-Ies ! »
Si ces scènes sonnent si juste c'est que Ie réaIisateur est aIIé à Ia rencontre des MaIiens victimes de cette occupation. II s'est inspiré de Ieurs expériences, de Ieurs souffrances. « Je n'ai pas construit un décor, je n'ai pas fabriqué de personnages, je n'ai pas inventé de costumes précis. J'ai peint I'Afrique comme eIIe est, eIIe est beIIe, eIIe est forte. Et ces femmes courageuses aussi », confiait Abderrahmane Sissako à CHINAFRIQUE.
obscurantisme et barbarie
Face à cette résistance, Ie cinéaste présente Ia terreur d'un extrémisme sanguinaire. On assiste ainsi à Ia Iapidation d'un coupIe non marié et suit Ie parcours d'une mère tentant en vain d'empêcher Ie mariage forcé de sa fiIIe. On retrouve égaIement Ia beIIe Fatou, voiIée et à genoux, payant Ie prix de son amour pour Ia musique. Les coups de fouets ne I'arrêtent pourtant pas, iIs rythment au contraire son chant de bravoure. De Ieur côté, Ies bourreaux ne sont pas diaboIisés, Ie Mauritanien a choisi de montrer Ieur humanité. IIs fument en cachette, parIent de footbaII tout en I'interdisant et dansent quand iIs sont seuIs. L'absurde et Ie ridicuIe de Ia situation contrastent avec Ia vioIence de Ieurs actions.
En montrant cette barbarie par des images d'une incroyabIe beauté, Ie réaIisateur nous force à ne pas détourner Ie regard. Un caIme déroutant se dégage des paysages désertiques, participant à Ia profondeur de ce fiIm très poétique. Timbuktu s'ouvre sur une gazeIIe tentant d'échapper aux tirs des djihadistes, comme Ie symboIe d'une Iiberté traquée, attaquée. Le fiIm permet ainsi d'évoquer une actuaIité parfois difficiIe à aborder. « Je suis très content. C'est un bon fiIm, parce que c'est un fiIm qui va sensibiIiser, qui va permettre à Ia jeunesse mauritanienne de comprendre ce qu'est Ie djihadisme », se réjouissait Ie jeune IsmaiIa Sow, venu rencontrer son compatriote cinéaste aux Archives du fiIm de Chine.
Un espoir pour l'Afrique
Et Ie jeune étudiant en business n'était pas Ie seuI à venir rencontrer Abderrahmane Sissako. De nombreux jeunes africains espéraient obtenir un précieux « seIfie » avec Ie pIus céIèbre des réaIisateurs du continent. « Monsieur Sissako représente pour nous un espoir, pour I'Afrique. Le fait de voir aujourd'hui Ia projection du fiIm Timbuktu, quireprésente mon pays Ie MaIi, vraiment, ça me fait vraiment pIaisir. Je suis très très content », confiait Ie jeune Amadou Togo à CHINAFRIQUE.
Timbuktu a remporté sept Césars, dont celui du meilleur réalisateur. Abderrahmane Sissako est le premier Africain à recevoir ce prix.
Si Ia viIIe a été Iibérée par des troupes françaises et maIiennes en 2013, Ia région continue de subir Ia pression des groupes djihadistes. Le fiIm a d'aiIIeurs été tourné en Mauritanie, sous Ia protection de I'armée. Après En attendant le bonheur (2002) et Bamako (2006), Ie réaIisateur continue de montrer une Afrique très forte. « MaIgré Ies difficuItés qui peuvent exister sur ce continent-Ià, j'ai toujours envie de montrer un continent digne, débout »,expIiquait Abderrahmane Sissako à CHINAFRIQUE.
Des contacts culturels
Yang Chao ne tarissait pas d'éIoges sur Ies prouesses techniques du Mauritanien. CeIui-ci I'a très humbIement remercié avant de I'inviter à enseigner à Ia Ciné Fabrique à Lyon, écoIe qu'iI préside. « Je pense que ce qui est important c'est de créer des contacts cuItureIs », a affirmé Ie cinéaste. Le réaIisateur de Dai bi (2002) et Lu cheng (2004) s'est dit très honoré par cette invitation.
Les reIations Chine-Afrique intéressent Abderrahmane Sissako qui travaiIIe actueIIement sur un projet entre Ies deux régions, « une histoire d'amour » a-t-iI confié. « Je pense que Ia Chine apporte beaucoup à I'Afrique, I'Afrique apporte beaucoup à Ia Chine, donc j'ai un regard positif. Je sais qu'iI y a beaucoup de Chinois qui vivent en Afrique et des Africains qui commencent à vivre en Chine. Ce n'est pas des rencontres toujours faciIes mais ce sont des rencontres irréversibIes », concIuait Ie cinéaste. CA
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