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ça glisseen Chine

2016-03-25BASTIENROUSSILLATmembredeladaction

今日中国(法文版) 2016年3期

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction



ça glisse
en Chine

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

À l’heure où la Chine prépare l’organisation des JO d’hiver 2022, le pays s’est engagé dans un vaste plan de développement des sports d’hiver. Rencontre avec Serge Koenig, diplomate français et spécialiste de la question.

De quand date l’intérêt des Chinois pour le ski ?

On peut dire que ça fait 15 ans que le ski a commencé à se développer timidement en Chine. Les premières stations sont apparues dans la région de Harbin (Nord-Est) dans les années 1980 et étaient essentiellement dédiées à l’entraînement des compétiteurs. Le pays n’a pas de « culture ski » comme c’est le cas dans les pays alpins ou nordiques.

Depuis 2 ou 3 ans, cette dynamique s’est nettement accélérée et les choses vont maintenant aller très vite, car les JO de 2022 qui ont été accordés à Beijing et Zhangjiakou sont un événement daté avec le monde pour témoin. Beijing a donc 7 ans pour devenir un endroit reconnu pour les sports d’hiver. La ville sera, j’en suis convaincu, à la hauteur de ce rendez-vous. En comparaison, le marché des sports d’hiver a pris plus d’un demi-siècle pour arriver à maturité en France… L’époque de l’essor de l’« or blanc » en France était évidemment différente, car le monde tournait moins vite et il n’y avait pas de référence ailleurs.

Vous qui habitez et travaillez en Chine, êtes-vous déjà témoin de cette rapide progression dont vous parlez ?

Oui bien sûr. Même à Chengdu où j’habite, grâce aux 2 stations de ski de Xiling et de Taiziling, et surtout grâce au parc de dryski praticable toute l’année proche du centre-ville, j’ai pu observer l’incroyable progression technique des jeunes de plus en plus nombreux à être attirés par ce loisir de glisse. Il y a 2 ans, le niveau général était débutant. Les domaines skiables étaient consacrés aux débutants. Le ski ne s’y pratiquait pas dans la durée, mais était vécu comme une ‘expérience’ à tenter et à immortaliser par une photo. Les moniteurs étaient là davantage pour aider les skieurs à se relever après leurs chutes et à les assister pour mettre et retirer leurs équipements.

Serge Koenig à la station de ski de Wanlong à Zhangjiakou, une des stations retenues pour les JO 2022.

Aujourd’hui beaucoup sont devenus des skieurs réguliers de bon niveau. Ces progrès sont encore plus visibles chez les passionnés dans les stations plus avancées du Nord-Est et autour de Beijing ou Zhangjiakou. Je pense notamment à Nanshan, proche de la capitale, et à l’excellente station de Wanlong à Chongli. Leur exploitation s’adosse sur le bassin de population de Beijing, soit plus de 30 millions de clients potentiels. Avec la hausse du niveau de vie, de plus en plus de Chinois font du ski et ces stations se modernisent. Beijing a lancé le projet de faire skier 300 millions de Chinois d’ici 2022, soit 5 fois la population française, des jeunes talents chinois vont inévitablement se révéler et s’épanouir dans les différentes disciplines pour viser les podiums olympiques dans 7 ans.

Quel sera le poids des skieurs chinois dans le marché mondial du ski ?

Ce volume représentera presque 3 fois le nombre total estimé de skieurs dans le monde, qui est de 110 millions si on parle de pratiquants réguliers totalisant 400 millions de journées-skieurs (achats de forfaits pour une journée). L’objectif chinois, même s’il sera certainement difficile à atteindre tant il est énorme, vient une fois de plus bousculer nos références habituelles. On dénombrait en 2011, 3 millions de skieurs chinois totalisant 5 millions de journées-skieurs. Le paysage du ski mondial est donc appelé à évoluer dans les années qui viennent. La Chine constitue l’un des deux principaux réservoirs de croissance à l’échelle planétaire avec la Russie.

Dans quel contexte social et économique général s’opère cette dynamique « sports d’hiver » en Chine ?

Cet essor survient dans un contexte général très favorable au développement du ski et plus généralement au développement des loisirs et du plein air dans toutes les montagnes du pays. L’immense classe moyenne chinoise a beaucoup amélioré son pouvoir d’achat et aspire à goûter au bon côté de la société de consommation.

Dans le même temps, les autorités de Beijing ont réorienté le modèle économique vers une croissance tirée par la consommation intérieure et les services. Le tourisme, les loisirs et les sports en font partie.

Le ski, qui était auparavant un sport réservé à une élite, devient aujourd’hui un loisir de la classe moyenne émergente même s’il reste un loisir très onéreux en Chine (plus cher que dans les stations occidentales). En tout cas, le nombre de clubs outdoor, dont de ski, est en forte progression, la nature devient une valeur importante. Le sport est d’ailleurs l’un des secteurs les plus prometteurs parmi les nouvelles sources de croissance avec un impact économique d’environ 2 % du PIB mondial. Et la Chine est motrice aussi dans ce domaine.

Le début de la saison à la station de Yabuli près d’Harbin dans le Heilongjiang.

Combien compte-t-on de stations de ski en Chine ? Où se situent-elles ?

Aujourd’hui, le pays compte plus de 350 stations (un peu plus qu’en France), mais celles-ci sont encore souvent mal équipées et seule une vingtaine d’entre elles s’approchent des standards occidentaux en qualité d’équipements et de services.

Le Nord-Est de la Chine dispose du plus grand domaine skiable du pays. L’office du tourisme de Harbin, capitale de la province du Heilongjiang, recense une cinquantaine de stations de ski. La plus grande, la plus ancienne et la plus huppée, Yabuli, se trouve à 200 kilomètres avec sa vingtaine de pistes qui serpentent sur une trentaine de kilomètres dans des collines boisées. C’est ici que s’étaient tenus les Jeux Asiatiques d’hiver et les Jeux Olympiques universitaires. Dans cette contrée au climat sibérien, la neige peu abondante se maintient puisque le thermomètre affiche généralement -20 à -30°C durant l’hiver.

Et puis il y a les stations existantes et à venir de Beijing et de Zhangjiakou, dans la province voisine du Hebei, qui vont accueillir les JO d’hiver en 2022. Lepaysage est valloné avec peu de ressource neigeuse naturelle, mais avec une température hivernale propice à la production de neige de culture et au maintien de celle-ci, et surtout, elle est favorisée par la proximité du gigantesque bassin de population de la capitale chinoise.

Ce marché intéresse-t-il les opérateurs occidentaux ?

Les multinationales des loisirs se positionnent évidemment sur ce marché en pleine expansion. Je peux citer des opérateurs français très connus comme le Club Med, la Compagnie des Alpes ou encore Pierre&Vacances qui ont investi la Chine. Le Club Méditerranée avait ouvert son premier village chinois de sports d’hiver en novembre 2010 à Yabuli dans le Nord-Est du pays. La Compagnie des Alpes a signé un contrat pour exploiter la nouvelle station de Taiwu à Chongli près de Beijing.

C’est un « plan neige » incroyable que de faire skier 300 millions de Chinois en quelques années seulement… Quels vont être les besoins pour y parvenir ?

Des centaines sinon des milliers de stations de sports d’hiver et de parcs de ski sont à bâtir. Il faut rapprocher ces sites des bassins urbains en termes de temps de transport, c’est-à-dire construire des voies de communication rapides. Dans les villes, les parcs de dryski vont se développer ainsi que des stations de ski en intérieur comme à Dubai (Harbin, Beijing, Chengdu…).

Cette multiplication des sites et de stations de ski va aussi inévitablement développer une saine concurrence entre les sites et faire grimper le niveau des services pour faire la différence avec les voisins, pour attirer les clients, les ancrer pour des séjours et les fidéliser. Les moniteurs de ski seront un maillon essentiel dans la rentabilité des stations de sports d’hiver. Car si le client skieur est content et progresse vite, il revient le week-end suivant avec sa famille et ses amis.

La mise en place à l’échelle de la Chine d’une formation homogène aux standards internationaux pour les moniteurs de ski chinois et pour les pisteurs-secouristes serait une des mesures importantes pour accompagner cette dynamique.

Les JO 2022, une aubaine pour les stations de ski chinoises, comme ici à la station de Chongli à Zhangjiakou.

Comment cette perspective de 2022 vat-elle booster le développement du ski en Chine ?

Les JO ont toujours été un catalyseur d’une part pour l’image à l’international du pays d’accueil et d’autre part pour son aménagement et son développement, avec l’essor du sport au 1erplan. Rappelonsnous les JO dans les Alpes françaises en 1968 quand les grandes infrastructures ont alors désenclavé le massif et l’ont transformé en un terrain de jeu gigantesque, et durable. Grenoble était devenu le « centre du monde » le temps des épreuves. Et la région toute entière est devenue synonyme de « vacances aux sports d’hiver ». L’essor économique qui s’en suivit influença le développement de toute la région. Ce début d’une démocratisation des loisirs de neige avait aussi été accéléré par l’image d’une « France qui gagne », notamment avec les 3 médailles d’or en ski alpin de Jean-Claude Killy. Si les JO de Grenoble en 1968 ont réellement fait décoller ce marché en France et donné à tous les Français l’envie d’aller aux sports d’hiver, c’est parce qu’à cette époque, trois histoires se sont entrecroisées : celle des sports d’hiver, celle du développement touristique et celle du mouvement olympique…

On retrouve une situation à peu près similaire en Chine aujourd’hui et les Jeux d’hiver 2022 de Beijing et Zhangjiakou seront assurément un formidable catalyseur pour ce marché du ski, mais plus généralement pour le plein air et le tourisme de montagne en général et dans tout le pays.

La Chine va-t-elle donc devenir un grand pays de ski alpin ?

Compte tenu de la dimension du pays et de la variété de ses ressources montagneuses, la Chine a les ressources pour développer d’intéressantes stations de ski. Pour autant, il y a peu de possibilité de sites de ski sauvage à des altitudes raisonnables (inférieures à 3 500 m), je pense à un grand ski de poudreuse que l’on trouve au Canada ou dans les Alpes du Nord. En haute montagne, le ski restera une composante hivernale d’un tourisme davantage orienté sur les quatre saisons ; une niche donc, mais à l’échelle chinoise… Proches des villes, les stations resteront alimentées de neige de culture et seront dédiées essentiellement à l’activité sur piste, sans grande attraction paysagère, et parfois dans un esprit « parc de loisirs » donnant de la valeur aux investissements immobiliers alentours... Par contre du point de vue potentiel en nombre de skieurs, la Chine parviendra certainement au 1errang mondial en volume émetteur. Les pays occidentaux à culture ski sont d’ailleurs déjà sur les rangs pour capter une part grandissante des voyageurs chinois adeptes de vacances aux sports d’hiver.