Le petit Poucet taïwanais face à l’ogre chinois
2016-12-27CHRISTOPHETRONTINmembredeladaction
CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction
Le petit Poucet taïwanais face à l’ogre chinois
CHRISTOPHE TRONTIN, membre de la rédaction
Ce qui est drôle lorsqu’on vit en Chine, c’est voir à quelles contorsions la presse démocratique est prête à se livrer lorsqu’elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiquement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d’agilité que d’autres et parfois, des prouesses sémantiques qui vous laissent pantois...
La presse internationale nous refait le coup à chaque élection : le gentil petit Taïwan démocratique menacé par l’ogre de la partie contientale de la Chine... Voyez ces titres à l’occasion des récentes élections insulaires qui ont vu le candidat du KMT au pouvoir battu par Mme Tsai, candidate du DPP. Résumons en deux mots l’histoire de l’île et du continent, qui n’a que peu de points communs avec la fable de Charles Perrault.
Sous un titre neutre, « Les enjeux des élections présidentielles et législatives à Taïwan », RFI explique doctement sur son site : « [Taïwan] craint que la Chine ne pèse trop dans la balance des échanges commerciaux », avant de poursuivre « car la Chine a toujours considéré que la République de Chine (dite Taïwan) faisait partie intégrante du pays ».
Petit détail qui change tout : Taïwan aussi considère qu’il fait partie intégrante de la Chine ! Ce n’est pas sur les rives du détroit que se pose la question de Taïwan, mais dans le reste du monde. Curieuse mobilisation mondiale sur des relations qui, d’exécrables dans les années 1970, puis tendues dans les années 1980 et 90, sont devenues stables. L’accord de principe en vigueur aujourd’hui est le Consensus de 1992, aux termes duquel les deux rives du détroit s’accordent pour constater qu’il n’y a qu’une seule Chine, qui comprend une partie continentale et une partie insulaire. Lignes aériennes directes, pandas, échanges culturels et scientifiques en témoignent. La rencontre historique entre Xi Jinping et Ma Ying-jeou en 2015 a signé un nouveau réchauffement des relations entre les deux rives.
À en croire les gros titres pourtant, c’est quasiment la guerre. En 2010, la signature d’un accord-cadre de coopération économique entre les deux rives faisait écrire à J.P. Cabestan, dans Le Monde, que « Washington est inquiet de la tournure que prend le rapprochement ». Une fois de plus, c’est l’alerte générale dans les rédactions. L’Express titre : « À peine élue à Taïwan, Tsai Ing-wen censurée sur Internet par la Chine », tandis que Le Monde affirme « Les élections à Taïwan révèlent un nouvel échec de Pékin »... La Croix semble presque modérée puisqu’elle se contente d’un « À Taïwan, une alternance politique qui inquiète la Chine ». Le quotidien de Hong Kong violemment anti-chinois, South China Morning Post, ressort quant à lui une histoire de missiles remontant à 1996 pour expliquer l’inutilité de la rencontre historique des dirigeants des deux côtés du détroit.
Au fond le problème est différent : si Taïwan se considère chinois, certains pays occidentaux ne l’entendent pas de cette oreille, persistant à vouloir utiliser l’île comme une base navale menaçant la partie continentale par la mer, une politique qui a pourtant fait long feu.
Petit rappel historique : en 1949, alors que le Parti communiste venait de prendre le pouvoir dans la partie continentale de la Chine, les nationalistes de Tchang Kaichek soutenus et armés par les États-Unis se repliaient sur l’île, transformée par le chef du Guomindang en forteresse militaire. Leur but avoué était de reprendre par la force le contrôle du continent. Un fantasme de reconquête qui reste d’actualité pour certaines têtes brûlées, à Taïwan comme à l’étranger.
De 1949 à 1971, les États-Unis et l’ONU ne reconnaissaient pas d’autre Chine que la petite République de Chine, ignorant superbement la République populaire et son milliard d’habitants. Peu à peu, l’URSS, la France et d’autres pays ont reconnu la République populaire et il a bien fallu prendre conscience de cette nouvelle réalité. L’ONU a donc fini par restituer à la République populaire son statut de pays-membre par la résolution n° 2758. En 1972, la visite du président Nixon signalait que les États-Unis eux-mêmes allaient reconnaître à leur tour la Chine nouvelle. Sans enterrer définitivement leurs rêves de guerre dans le détroit de Taïwan, puisqu’ils décrètent en 1979 leur politique d’« ambiguïté stratégique » en vertu de laquelle ils continuent de fournir des armes aux dirigeants de l’île tropicale, tout en les dissuadant de déclarer unilatéralement l’indépendance.
En dépit de la persistance de réflexes nés de la guerre froide et de manœuvres parfois ouvertement belliqueuses des puissances occidentales (exercices navals, ventes d’armes), l’île et le continent n’ont cessé de se rapprocher, que ce soit économiquement ou diplomatiquement.
Par ailleurs, la politique des deux principaux partis taïwanais a elle aussi évolué. Le KMT, ou Guomindang (parti nationaliste), a troqué ses déclarations impérialistes contre une politique pragmatique de rapprochement économique et diplomatique, alors que le DPP (Parti démocrateprogressiste) s’alignait progressivement sur la rhétorique anti-chinoise inspirée par certaines puissances occidentales.