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Pour comprendre la Chine, commencez par le Nouvel An chinois

2016-03-25ZHENGRUOLIN

今日中国(法文版) 2016年3期

ZHENG RUOLIN*



Pour comprendre la Chine, commencez par le Nouvel An chinois

ZHENG RUOLIN*

Il faut comprendre la Chine est un livre écrit par l’écrivain helvétique William Martin et publié par la Librairie Académique Perrin en 1935. À l’époque, c’était visiblement un livre à succès puisque la version que j’ai chez moi en est la troisième édition.

Ce livre est très important pour les gens qui s’intéressent aux relations entre la Chine et l’Occident. Dans sa préface, l’auteur décrit ce qu’il a ressenti en écrivant l’ouvrage mais aussi les clichés de l’époque sur la Chine et ils sont encore d’une incroyable actualité.

La Chine exsangue, appauvrie et assiégée des années 30 et l’actuelle deuxième puissance économique mondiale en pleine renaissance semblent pourtant ne rien avoir en commun. Mais, comme le décrivait M. Martin en 1935, beaucoup d’Européens sont restés sur leurs clichés et idées toute faites de la Chine.

M. Martin a écrit un passage intéressant sur ce problème : « Il y a quelques années, j’ai lu un livre très en vogue en France, mais les péripéties chinoises de l’auteur ne semblaient pas très heureuses. Quand il ne rencontrait pas des bandits, c’était des vendeurs d’opium et quand ce n’était pas des vendeurs d’opium c’était des prostituées. Il ne s’est pas rendu compte qu’il ne décrivait pas la Chine, mais seulement les bas-fonds d’un grand pays. Tout comme les Français se plaignent que les auteurs étrangers quand ils viennent à Paris n’y décrivent que des voyous. »

Ce passage pourrait s’appliquer parfaitement aux auteurs français qui écrivent sur la Chine aujourd’hui. Pour beaucoup de journalistes français, la Chine actuelle n’est-elle pas finalement limitée à la description de l’aspect sombre d’un grand pays ?

Il faut reconnaître que le monde actuel est plus « idéologisé » qu’à l’époque et décrire objectivement une civilisation différente de l’occidentale, un système politique différent est pratiquement inconcevable. Cela est peut-être dû à l’existence d’une ligne rouge invisible du « politiquement correct » dans l’opinion publique occidentale. Bien sûr, des journalistes honnêtes comme William Martin existent encore. Tout n’est pas perdu.

Parmi les décorations pour la fête du Printemps, le caractère du bonheur est un must.

Pour ma part, journaliste chinois vivant en Chine, décrire mon pays aux Français et aux Européens reste une tâche difficile.

Pourtant, j’ai un avantage : avant de rentrer en Chine il y a deux ans, j’ai passé plus de 20 ans en France. J’y ai travaillé, j’y ai aussi vécu une partie de ma vie. J’ai donc l’avantage sur mes compatriotes de savoir pourquoi les Occidentaux ne comprennent pas la Chine. Et la raison principale est celle-ci : la différence la plus radicale est que la Chine n’est pas un pays monothéiste.

D’où le thème de cet article : le Nouvel An chinois.

Pour comprendre l’Europe, il n’est pas forcément nécessaire de commencer par Noël. Mais pour comprendre ce paysnon-monothéiste qu’est la Chine, il faut partir du Nouvel An chinois ou fête du Printemps, c’est peut-être même la seule manière de bien saisir le monde spirituel chinois.

Cette fête est une fête de la famille, de l’union familiale. Des millions de Chinois rentrent dans leur famille pour les vacances. Ce chassé-croisé est un phénomène de migration unique au monde. Je ne fais pas exception. Cette année, ma famille et moi-même sommes rentrés à Shanghai pour passer le Nouvel An avec ma bellemère. 1 300 kilomètres de trajet, 4 heures 48 minutes, 533 yuans pour un billet de TGV, c’est à la portée de la majorité des Chinois.

Les traditions du Nouvel An sont nombreuses : offrandes aux ancêtres, nettoyage, pétards, soirée du réveillon. Mais le plus important pour les Chinois, c’est de rentrer dans leur région natale et de passer le Nouvel An en famille.

À Rizhao dans le Shandong, on fait des petits pains à la vapeur pour fêter l’arrivée du Nouvel An chinois.

En Chine, si les enfants ne vivent pas avec leurs parents, ils ont quand même le devoir de passer voir leurs parents régulièrement. La pensée traditionnelle de la piété filiale est une particularité orientale et en Chine, c’est même devenu une loi. Dans la Loi sur la protection des droits et intérêts des personnes âgées, « l’accompagnement sentimental » a été inscrit dans le texte. Le Nouvel An chinois est donc l’occasion pour beaucoup de Chinois d’aller rendre visite à leurs aïeux.

De façon simplifiée, le réveillon chinois se résume à une réunion de famille autour d’un banquet pantagruélique qui dure jusqu’à minuit. Après le passage à la nouvelle année, tout le monde sort allumer des pétards pour faire partir « la vieille année ».

Depuis une trentaine d’années, les Chinois ont aussi pris l’habitude de regarder le grand gala télévisé du Nouvel An. Un show qui dure près de 5 heures et mêle danses et chants sur la CCTV. Cette émission est d’ailleurs entrée dans le Guinness des Records en 2012 en tant qu’émission la plus regardée au monde avec plus de 498 millions de téléspectateurs.

La fête du Printemps, temps de réunion familiale, est ainsi devenue LA fête sacrée chinoise. Sa particularité majeure vient de la différence la plus flagrante entre la civilisation occidentale et la civilisation chinoise : le non-théisme. Pour les Chinois, le sens de la vie est le monde qui est devant leurs yeux, et le bonheur vient de la famille. Les Chinois vivent dans l’instant présent ici et maintenant. Ils ne connaissent pas la pesanteur du péché originel ni la salvation de l’âme. Ce qu’ils recherchent est le bonheur de l’instant, et celui-ci vient surtout de la joie d’avoir une famille.

C’est pourquoi la Chine a développé des valeurs morales dont celle de Confucius : « celui qui gère le pays doit commencer par régler sa famille, celui qui veut régler sa famille doit commencer par s’améliorer soi-même ». Les Chinois n’ont pas besoin de se confesser à un prêtre. Pourtant cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas de conscience. La culture chinoise est certainement une des cultures qui met justement le plus l’accent sur la réflexion sur soi-même.

Certains spécialistes étrangers, comme Ruth Benedict, l’auteur de Le Chrysanthème et le Sabre, considèrent que le confucianisme oriental est une culture du sentiment de honte opposé au sentiment de culpabilité occidental. Pour moi, cette opinion est radicalement fausse et chargée de préjugé.

Le Nouvel An chinois est un symbole chinois, une miniature de la société. Par le passé, cette fête était synonyme de la prospérité ou de la décadence d’une famille. Lorsque la famille était au grand complet, les membres de quatre générations sous un même toit et que les enfants et petitsenfants gambadaient partout autour des adultes, c’était un symbole de bonheur et de prospérité. Aujourd’hui, à cause de la politique de l’enfant unique, les familles chinoises sont moins nombreuses. Mais le symbole de plénitude familiale est bien resté.

Lorsque le roi d’Angleterre Georges III envoya son ambassadeur Lord Macartney en Chine, celui-ci refusa de se prosterner devant l’empereur Qianlong, le salut traditionnel. Ce fut le premier échec de la première rencontre entre la civilisation chinoise et la civilisation occidentale, selon le sinologue français Alain Peyrefitte.

L’ambassadeur britannique l’avait d’ailleurs résumé ainsi : « Il n’y a rien de plus faux que d’utiliser les critères européens pour appréhender la Chine. » C’est pour cela que quand la France avec ses idéaux universalistes de la liberté croit qu’elle doit ainsi « libérer » les Chinois et voit les Chinois comme « non-libres », et essaie de les émanciper, les malentendus commencent.

*ZHENG RUOLIN est un ancien correspondant à Paris du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai.