Un dialogue spirituel
2023-01-08parGELIJUN
par GE LIJUN
Deux jeunes Africains jouent du dialogue comique en Chine
Rakotoarivony Mamisoa (deuxième à gauche) et Ike M.Kitili (deuxième à droite) se produisent sur scène avec leurs maîtres lors d’un concours sur une chaîne de télévision de Tianjin,en décembre 2021.
L’un est loquace,l’autre relativement silencieux.Voilà deux caractères contraires conformes aux deux rôles duxiangsheng,un art folklorique chinois.Rakotoarivony Mamisoa,natif de Madagascar,Ike M.Kitili,du Kenya,sont deux anciens camarades de classe à l’Université normale de Tianjin tombés amoureux duxiangshengen 2019,à peine trois ans après leur arrivée en Chine.Tous deux nés en 1997,ces deux jeunes sont totalement différents : Mamisoa est volubile et aime sortir avec ses amis,Ike,lui,apprécie la solitude,la lecture,la course à pied ou simplement « méditer sur la vie ».Dans le dialogue comique,le rôle principal provoque les rires grâce à des paroles spirituelles ou des gestes amusants,tandis que le second rôle est en charge d’agir de concert avec le rôle principal.Sur scène,Mamisoa et Ike sont probablement les partenaires idéaux.
Un parcours d’apprentissage non sans difficultés
Coïncidence ou pas,Mamisoa et Ike ont eu un parcours quasiment identique avant qu’ils n’arrivent à Tianjin.En 2016,après plus d’un an de formation en chinois à l’Institut Confucius à Madagascar et au Kenya,les deux jeunes ont réussi à passer le HSK,un concours de chinois pour les étrangers.Ils ont naturellement postulé dans des universités chinoises pour poursuivre leurs études et enfin réaliser leur rêve.
La ville de Tianjin est connue pour la culture duxiangsheng.Mamisoa en a entendu parler dès le début de sa vie universitaire.C’est en préparant un concours dexiangshengà l’échelle nationale que les deux Africains ont pris l’initiative d’en faire l’étude auprès d’un maître.« C’est très amusant et intéressant,mais c’est également très difficile »,raconte Mamisoa àCHINAFRIQUE.D’innombrables obstacles– les paroles,les gestes,les physionomies et même les regards–n’entravent cependant pas leur enthousiasme.Pour eux,la plus grande difficulté est la différence culturelle.« En particulier,les expressions idiomatiques »,ajoute Ike.
Ils sont obligés d’avoir recours à leur maître,phrase par phrase,mot par mot.Ce dernier les initie au sens culturel de chaque expression et assure une compréhension complète.Le reste consiste à pratiquer,sans plus de moyen.Tous les jours,outre l’apprentissage de leur spécialité en enseignement international de la langue chinoise,ils consacrent la plupart de leur temps libre à s’exercer.Au début,cinq apprentis suivaient le cours du maître,mais trois ont arrêté à la fin de leurs études.Mamisoa et Ike persévèrent malgré les difficultés.« Notre persévérance est issue de notre passion pour le dialogue comique.C’est le plus fort moteur pour nous »,exprime Ike àCHINAFRIQUE.
Rakotoarivony Mamisoa (à gauche)et Ike M.Kitili se produisent dans un théâtre à Tianjin,en février.
« Cette forme artistique s’apprend sur le long terme.Bien que nous puissions jouer quelques pièces,nous sommes loin de les maîtriser »,confie le jeune Malgache.Ils s’exercent autant qu’ils le peuvent.Ils profitent de la soirée et du week-end pour revoir et comprendre les idiomes.Mamisoa apprend également à scander un conte rythmé accompagné d’un jeu rapide de castagnettes de bambou.Leur engagement a abouti.Ils ont remporté le prix de transmission au 2eFestival national Ma Ji dexiangshengpour les étudiants en 2019,et le prix d’innovation au 3eFestival en 2021.Ils ont également remporté le troisième prix au Concours de nouvelles créations dexiangshengde Beijing 2021.
À l’université ou en dehors,ils ont de nombreuses occasions de se produire sur scène.« C’est une belle forme d’échanges culturels.» Quel temps parfait pour l’entente réciproque entre les deux peuples !
Les deux jeunes jouent,mais ne créent pas de pièce.« La création est trop difficile pour nous »,affirme Mamisoa.Ce sont plutôt leurs maîtres qui créent des pièces pour eux ou ils cherchent eux-mêmes des vidéos sur Internet à imiter.Cependant,au lieu d’un copier-coller,ils changent quelquefois des phrases pour ajouter des éléments africains.Ici,un exemple de dialogue : « Quel pays compte le plus de bois ?Les Philippines.Quel pays compte le plus de pétrole ?L’Arabie Saoudite.» Ike a proposé de changer de pays :quel pays compte le plus de lions ? Le Kenya ! Tous rient.
Des éléments africains parsèment les pièces de dialogue comique chinois,y donnant un nouveau souffle.Dans une pièce classiqueBao Caiming(présenter les noms des plats),où plus d’une centaine de plats sont évoqués,ils ont,avec leur maître,créé une version africaine,y incorporant une trentaine de plats.Dans une autre,lorsque Mamisoa joue des castagnettes de bambou,Ike bat le djembé.Deux rythmes coexistent ainsi en harmonie.
Leurs grands maîtres favoris ? Ike adore Ma Ji.Avec ce dernier,Mamisoa apprécie les pièces de Ma Sanli et de Zhao Yan,qui est un apprenti de Ma Ji.« Sous une forme comique,lexiangshengcontient du bon sens.Cet art traditionnel reflète les mœurs et coutumes d’une région.Voilà la meilleure façon de la découvrir »,poursuit Mamisoa.
Des échanges culturels enrichissants
À l’université ou en dehors,ils ont de nombreuses occasions de se produire sur scène.« C’est une belle forme d’échanges culturels.» Imaginons que deux étudiants africains jouent du dialogue comique sur scène en parlant couramment mandarin et en balançant de l’humour typiquement chinois à bon escient.Quel temps parfait pour l’entente réciproque entre les deux peuples !
Ils aiment fréquenter le quartier dans les environs de la Tour du tambour,un symbole de la vieille Tianjin,où,à leurs yeux,« presque chaque habitant originaire de Tianjin est capable de jouer des castagnettes de bambou ».Depuis le début de la COVID-19,les deux jeunes Africains sont rarement allés assister à une représentation dexiangsheng.Heureusement,les vidéos se retrouvent aisément sur Internet.
Quant à d’autres arts chinois,Ike adore la calligraphie et la peinture traditionnelle.Ces dernières années,ils trouvent que de plus en plus d’Africains apprennent le kung-fu,la calligraphie,leTaiji,ou la danse traditionnelle à l’Institut Confucius de leur pays.« Beaucoup espèrent venir en Chine afin de poursuivre leurs études après la pandémie et découvrir au plus près les arts chinois qu’ils préfèrent »,ajoute le jeune Kényan.
Ces deux Africains ont passé six années à l’Université normale de Tianjin,dont deux années de master.Cette année,Mamisoa a trouvé un emploi comme professeur de malgache,sa langue maternelle,à l’Université des langues étrangères de Beijing,alors qu’Ike,lui,continue ses études en doctorat à la même université,à Tianjin.Il y étudie la gouvernance et les politiques publiques.Malgré la distance,les deux jeunes souhaitent se revoir une fois la COVID-19 contrôlée.« Je veux continuer à étudier lexiangsheng,et à jouer du dialogue comique avec mon partenaire à l’avenir »,souhaite Ike.