Une ambiance électrique sous le capot
2017-12-09FRANOISDUB
FRANÇOIS DUBÉ﹡
Une ambiance électrique sous le capot
FRANÇOIS DUBÉ﹡
L'électrification du secteur chinois de l'automobile laisse présager une révolution à venir, dont les premiers exemples réussis sont déjà probants.
La ville de Taiyuan est située au nord de la Chine, dans la province du Shanxi, une région reconnue dans toute la Chine pour ses riches ressources en hydrocarbures,notamment en charbon, et la pollution de l’air qui en découle. Or, alors que je prends place dans un des taxis bleus qui arpentent les rues de la ville, je sens qu’une chose cloche : je n’entends pas le ronronnement familier du moteur, ni ne sens les effluves étouffants de l’essence...
Quelques questions à mon chauffeur suffisent à percer le mystère : la totalité de la flotte de vieux taxis polluants et usés de Taiyuan a été remplacée par des voitures électriques dernier cri. Ces nouveaux bolides écologiques, du modèle BYD E6,disposent de sièges en cuir plus spacieux,d’un écran LCD, d’une navigation GPS et d’un enregistreur mobile de données. En plus d’être propulsé à l’énergie propre, le véhicule est parfaitement silencieux. Le terminal intelligent avancé, avec caméra à l’intérieur et à l’extérieur du véhicule,améliore grandement l’expérience de conduite et la sécurité, autant pour le chauffeur que pour les clients.
Au fil de mon trajet, mon chauffeur me fait remarquer que cette conversion à l’électricité entraîne des changements à Taiyuan. Non seulement la qualité de l’air s’est améliorée, me dit-il, mais des bornes de chargement électrique – plus de 5 000– et des salles d’attente pour les chauffeurs ont poussé comme des champignons un peu partout. Il ne serait pas étonnant que d’autres villes de Chine s’inspirent de cette expérience réussie dans un avenir proche, me glisse-t-il avec un sourire qui laisse transparaître une certaine fierté.
Une ville pionnière
Suite à une réforme en comble de sa structure énergétique et industrielle en 2016, Taiyuan a remplacé de manière créative ses 8 292 taxis par des voitures électriques, devenant ainsi la première ville chinoise et même mondiale dont les taxis sont entièrement électrifiés.
Le 23 octobre 2017, un bus électrique de 18 m arborant le « rouge chinois »passe par l'avenue Chang'an.
Les résultats bénéfiques n'ont pas tardé à se faire voir : les émissions des véhicules produisant autour de 16 % des particules fines en suspension dans l'air de Taiyuan ont diminué, et on estime que la conversion des taxis électriques a éliminé 807 tonnes de NOx, 3 886 tonnes de CO, 850 tonnes de HC et 2,57 tonnes de PM2,5,selon les données de la ville.
Cette mesure a également donné un élan au développement économique de la région. La ville a vu une poussée considérable des industries liées aux véhicules électriques. Six nouveaux projets de production y ont été établis, avec des investissements totaux d'environ 500 millions de yuans. La nouvelle usine de BYD devrait générer à elle seule environ 15 milliards de yuans après son ouverture, sans parler des milliers d’emplois créés. Cela représente une chance inespérée dans une province durement touchée par le ralentissement de l’industrie du charbon.
« La prochaine décennie sera une chance stratégique pour le développement des véhicules à énergie renouvelable en Chine. Durant le XIIIeplan quinquennal,plus de provinces et de villes se joindront à la promotion de cette industrie, et la Chine inaugurera une nouvelle série de véhicules électriques. À ce titre, Taiyuan servira d’exemple aux autres », a déclaré Jia Feng, directeur du Centre d’éducation et de communication environnementale.
Une tendance de fond
Si Taiyuan est une ville pionnière dans cette révolution « à pile », elle ne sera sans doute pas la dernière. Les villes de Beijing et Shenzhen se sont également lancées dans l’exploration des possibilités offertes par les véhicules électriques. Comme de nombreuses municipalités chinoises détiennent une participation importante dans leurs sociétés de taxi urbain, il est aisé pour elles de donner un mandat clair visant à augmenter la proportion de véhicules électriques dans le parc automobile de la ville.
De plus, par rapport à l’entretien des voitures à essence, la fréquence d’entretien des véhicules électriques est beaucoup plus faible. Leur prix raisonnable,leurs faibles coûts d’exploitation et leurs faibles coûts d’entretien ont joué un rôle important dans le remplacement des voitures à carburant.
L’Association chinoise des constructeurs automobiles estime que les entreprises chinoises ont vendu autour de 700 000 voitures à nouvelles énergies en Chine en 2017. Cela représente une croissance substantielle par rapport aux quelque 500 000 voitures vendues en Chine l’année dernière. Cette tendance de fond est soutenue par diverses exonérations fiscales offertes par l'État. À mesure que le marché se montre réceptif, le gouvernement prévoit de couper les subventions,qui ont été réduites de 20 % cette année, et qui seront complètement éliminées d’ici une décennie.
La Chine a également introduit un système de licences préférentielles dans plusieurs villes. Les plaques d’immatriculation sont distribuées aux enchères, à la loterie ou après paiement d’une redevance élevée afin de limiter la congestion automobile, mais les acheteurs de véhicules électriques peuvent obtenir une plaque d’immatriculation gratuitement et sans attendre dans six villes chinoises.
En tête des géants de cette nouvelle industrie, on trouve l’entreprise BYD, qui est arrivée en première place des ventes de véhicules l’année dernière grâce à ses sept modèles. À elle seule, BYD emploie plus de 100 000 personnes dans 10 parcs industriels à travers la Chine. On trouve également Chery Automobile et Beijing Electric Vehicle, la division de voitures électriques de BAIC Motor.
Une course globale
À l’échelle mondiale, la Chine est aussi devenue une force politique à l’origine de la mondialisation de la technologie des véhicules électriques. La Chine fabrique et vend déjà plus de véhicules électriques que n’importe quel autre pays, et les acheteurs chinois achèteront trois fois plus de véhicules électriques que les acheteurs américains en 2017 — et plus que le reste de la planète.
Cette tendance ne risque pas de faiblir.Le mois dernier, faisant suite à plusieurs pays européens qui ont proposé un embargo sur les véhicules à carburant traditionnels entre 2025 et 2040, la Chine a déclaré qu’elle envisageait un mouvement similaire contre les voitures à essence et diesel, selon Xin Guobin, vice-ministre chinois du ministère de l’Industrie et des Technologies de l’Information.
Joignant le geste à la parole, le gouvernement a annoncé en septembre un système de quotas en augmentation constante qui récompensera les constructeurs automobiles qui produisent de plus en plus de véhicules électriques à partir de 2019, tout en les obligeant à acheter des crédits auprès d’autres producteurs pour chaque voiture conventionnelle produite. L'objectif fixé serait de fabriquer 7 millions de véhicules hybrides et électriques d'ici 2025.
Sous le capot
Mais le succès de cette révolution dépend de facteurs qui dépassent les initiatives politiques : il s’agit de changer les habitudes des gens, mais aussi de dépasser les limites technologiques.
En effet, si la Chine peut construire des bornes de recharge (il y en aurait 171 000 à l'échelle nationale) et utiliser des subventions pour rendre les voitures plus abordables, elle ne peut pas contrôler la densité énergétique des batteries. Le principal problème limitant l’utilisation des véhicules électriques est la densité de puissance des batteries, qui représente environ la moitié de ce qu’elle devrait être pour maintenir des distances de 400 km.Alors que les moteurs à combustion continuent à devenir plus efficaces, les batteries devront devenir plus légères et moins chères pour attirer plus de consommateurs.
Ce qui explique que malgré leur importance en chiffre absolu, et les généreuses subventions, on n’observe pas encore d’adoption massive des véhicules électriques dans le pays. En Scandinavie, par exemple, les véhicules électriques comptaient pour 15 % des nouveaux achats en 2016. En Chine, ils ne représentaient que 1,32 %, selon la société de conseil McKinsey.
« C’est une chose de concevoir et de produire une telle offre, a-t-il dit, mais encore faut-il que les clients veuillent l’acheter », avouait Jochem Heizmann, directeur général de Volkswagen Chine.
﹡FRANÇOIS DUBÉ est un journaliste canadien basé à Beijing.