Un patrimoine à partager
2017-03-30ProtectiondupatrimoineculturelimmatrielexprienceettechnologieparGeLijunetFranoisDub
Protection du patrimoine culturel immatériel : expérience et technologie par Ge Lijun et François Dubé
Un patrimoine à partager
Protection du patrimoine culturel immatériel : expérience et technologie par Ge Lijun et François Dubé
SUR l’avenue Qianmen de Beijing, coincé entre deux hutongs à deux pas de la place Tian’anmen, se trouve l’atelier de Yao Huifen. Vue de l’extérieur, nul ne se douterait que cette petite boutique neuve et moderne renferme en son sein des trésors millénaires. Yao Huifen est une experte en broderie traditionnelle de Suzhou, un art inscrit dans le patrimoine culturel immatériel de la Chine. Cet art originaire de la ville de Suzhou dans l’est de la Chine, célèbre pour ses motifs raff i nés et ses couleurs élégantes, ne trouvait pas sa place dans la société moderne. Or, depuis l’ouverture de son atelier personnel il y a un an, Mme Yao est de plus en plus optimiste quant à l’avenir de son art.
En plus de l’augmentation des ventes de ses créations et d’une hausse proportionnelle de son revenu, ce qui tient encore plus à cœur à Mme Yao, 49 ans, est que son artisanat jouit maintenant d’une plate-forme de diffusion importante au cœur même de la capitale. « De plus en plus de jeunes étudiants de l’Université veulent apprendre la broderie de Suzhou, ils visitent mon atelier pour en connaître l’histoire et nous demandent ensuite de leur enseigner les techniques. Ils souhaitent organiser des cours de formation de broderie à long terme, et nous sommes en train d’y réf l échir », conf i e-t-elle à CHINAFRIQUE. Transmettre sa passion pour la beauté, l’élégance et le raff i nement de l’art millénaire de la broderie de Suzhou à une jeune génération est la chose la plus importante pour cette passionnée, un rêve devenu réalité.
L’immatériel devient tangible
Yao Huifen n’aurait sans doute jamais pu ouvrir son propre atelier au cœur de Beijing sans l’aide et les efforts concertés du secteur privé et public. L’immeuble où se trouve sa boutique a été fourni à titre gracieux par les autorités de l’arrondissement de Dongcheng, et son exploitation est prise en charge par la société Yongxin Huayun, partenaire off i ciel de l’Unesco. L’initiative conjointe de la ville de Beijing et de Yongxin Huayun vise à faire de l’avenue historique de Qianmen une artère commerciale traditionnelle importante de la capitale. En tout, plus de 200 mille mètres carrées seront con-sacrés au patrimoine culturel, soit un investissement total de 24 milliards de yuans (3,8 milliards de dollars).
L’atelier de broderie de Suzhou de Yao Huifen, inauguré fi n 2015, est le premier des 16 ateliers d’artisanat qui vont ouvrir dans le quartier au cours des prochains mois. À terme, Qianmen sera un musée vivant à ciel ouvert du patrimoine chinois, une initiative qui s’inscrit dans le cadre des efforts de l’Unesco, qui a adopté en 2003 la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
Sauvegarder sans fi ger
Sur les deux étages du Centre d’expérience de Yongxin Huayun, plus de 200 types d’artisanat sont déjà représentés, de la poterie à la calligraphie en passant par la broderie, la sculpture, la peinture, l’artisanat du cuivre et du métal. Les visiteurs peuvent acheter les créations produites par les maîtres et leurs apprentis, et sont même encouragés à mettre la main à la pâte et à créer leurs propres œuvres.
Avec l’aide d’un personnel spécialement formé, ils peuvent aussi devenir des créateurs. « C’est en faisant l’expérience physique et émotionnelle de l’artisanat que les visiteurs en viennent à réellement apprécier cet art », conf i e Ye Jing, l’une des directrices du Centre d’expérience, à CHINAFRIQUE.
Les maîtres et les artisans y rencontrent aussi régulièrement les visiteurs. Ces contacts et ces échanges donnent à leur art un visage humain et une présence tangible. « Quand je regarde les yeux attentifs et les mains habiles du maître créant son œuvre, je me sens touchée par la charme artistique et je suis très fi ère de notre art traditionnel. Le maître nous présente aussi certaines techniques essentielles et nous les expliquent. Tout cela me donne le goût d’en créer moi-même », dit Wang Ning, une étudiante de l’Université de Pékin.
Yongxin Huayun est ainsi fi dèle aux prescriptions de l’Unesco, à savoir ne pas « fi ger » le patrimoine, mais plutôt de le rendre « pertinent », « recréé en permanence » et « transmis d’une génération à l’autre. »
Le levier numérique
Outre l’expérience physique, le projet cherche également à pleinement tirer parti des technologies de l’information. Yongxin Huayun a lancé à cet effet le site de commerce en ligne Efeiyi.com. La mise en place du magasin en ligne et la numérisation des produits culturels permettent d’accroitre les revenus et de diffuser l’art. Les artisans reçoivent aussi une partie importante des bénéf i ces, selon Ye Jing.
D’après Luo Yong, vice-président de Yongxin Huayun, une banque de données est également en cours d’élaboration. À l’avenir, la réalité virtuelle et la réalité augmentée seront aussi utilisées pour présenter les anciens processus de création. « À l’aide des technologies, on peut revenir à l’histoire et dépasser les limites du temps et de l’espace ; cela sublime la valeur de la culture », explique M. Luo à CHINAFRIQUE.
Dans le Centre d’expérience, chaque création artisanale est
L’avenue Qianmen devrait devenir une vitrine du patrimoine culturel immatériel de la Chine.
Irina Bokova (2eg.), directrice généralede l'UNESCO, au centre d'expérience.
À l’aide des technologies, on peut revenir à l’histoire et dépasser les limites du temps et de l’espace ; cela sublime la valeur de la culture.
Luo Yong, vice–président de Yongxin Huayun
Des visiteurs s’intéressent à la fabrication du papier.
accompagnée d’un code QR. Les visiteurs n’ont qu’à le scanner pour avoir accès à une présentation complète du produit et de son créateur. Ils peuvent aussi ajouter l’œuvre à leur panier. Soutenir et comprendre l’artisanat n’aura jamais été aussi facile et amusant.
Éviter les écueils
Des écueils empêchent cependant de pleinement faire entrer l’artisanat traditionnel dans la société moderne. Certaines mesures visant à populariser et à « vendre » le patrimoine immatériel peuvent parfois créer des distorsions. L’Unesco a relevé que dans un contexte de commercialisation excessive, les artisans tendent à se concentrer sur les éléments qui sont les plus vendeurs et à délaisser les autres, dont la valeur culturelle est pourtant toute aussi importante.
Bien conscient de ce risque, Yongxin Huayun prend des mesures concrètes pour que l’emprise des forces du marché ne soit trop forte. « Les maîtres se concentrent uniquement sur la création de leurs objets d’art, et nous prenons en charge la transmission des informations et la vente sur la plate-forme en ligne. Le processus de création n’est ainsi pas inf l uencé par le marché, et les maîtres peuvent consacrer plus d’énergie dans leurs créations », souligne M. Luo.
Aussi, plutôt que de miser sur la vente des œuvres, le Centre d’expérience veut maximiser l’expérience des visiteurs. Les employés reçoivent une formation rigoureuse sur l’artisanat et les artisans. « Il est important de présenter aux visiteurs non seulement les produits, mais aussi l’histoire derrière les œuvres d’art », explique Chi Hongge, du Centre d’expérience.
Yao Huifen souhaite que le projet puisse aboutir plus rapidement. « Plus les maîtres se joindront au projet, plus le parc de Qianmen prendra de l’envergure. Le cycle de création et de transmission, de protection et de vente pourra se maintenir à long terme », dit-elle. Pour le moment, elle continue jour après jour à enseigner aux plus jeunes sa passion de la broderie, souriant à l’idée que ses magnif i ques créations pourront bientôt être accessibles aux amateurs du monde entier. CA
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