Le temps de lire
2017-03-08DeuxhommespropagentlacultureghanenneparlalectureparNuruAli
Deux hommes propagent la culture ghanéenne par la lecture par Nuru Ali
Le temps de lire
Deux hommes propagent la culture ghanéenne par la lecture par Nuru Ali
DANS son livre Je parle du Ghana, Nana AwereDamoah, un ingénieur chimiste, énumère « 50 preuves que vous êtes au Ghana ». Certaines sont amusantes, d’autres contiennent des vérités nues.
« Vous savez que vous êtes au Ghana quand les éclairages publics sont visibles le jour, mais deviennent des ombres invisibles la nuit. Vous savez que vous êtes au Ghana quand un sexagénaire est président de l’Association des jeunes Asikuma. Vous savez que vous êtes au Ghana quand un conducteur fait demi-tour à une intersection. Vous savez que vous êtes au Ghana quand un employé du recensement vous demande si votre femme est mariée. »
ll y a une 51epreuve qui n’est pas mentionnée. Vous savez que vous êtes au Ghana quand ce qui ressemble à une fête de Noël est en fait une séance de lecture et que les gens citent le livre Je parle du Ghana.
Culture populaire avec du popcorn
Un nouveau phénomène embrase le Ghana : la lecture publique devient aussi populaire que la musique pop. Deux hommes l’ont rendue possible : M. Damoah et son partenaire de lecture Kof i Akpabli, consultant dans les médias et rédacteur touristique.
Les deux hommes ont fréquanté la même école primaire, mais deux années les séparaient. En 2010, M. Akpabli est devenu célèbre en remportant le Prix du journalisme africain de CNN, les deux compagnons se sont retrouvés dans une réception à Accra. Cette année-là, M. Damoah a aussi lu en public son premier livre lors d’un salon littéraire sous l’égide du Goethe lnstitute au Ghana, et il souhaitait continuer ses lectures publiques.
Un an plus tard, tous deux étaient côte à côte lors d’une dédicace de livres dans une librairie d’Accra, où onze ouvrages étaient lancés. lls décidèrent de s’associer.
La première lecture conjointe de leurs livres s’est déroulée en janvier 2015 dans le cache du Projet des écrivains du Ghana, une ONG qui encourage la culture littéraire. « Nous l’avons qualif i ée de marathon de lecture, explique M. Damoah. Nous avons lu et communiqué de 10 heures à 17 heures…C’était nouveau, et cela a été bien accueilli. Les gens entraient en sortaient au cours des trois séances. »
Encouragés par la tournure des événements, ils se sont alors fi xé deux objectifs : faire des lectures régulières en public et les organiser hors d’Accra. En 2016, l’initiative DAkpabli Readathon - le marathon littéraire DAkpabli - gagnait en popularité. Ces rencontres littéraires se déroulaient dans des lieux ordinaires comme des restaurants, des clubs et des librairies. L’auditoire s’est élargi, passant des écrivains aux étudiants, aux fonctionnaires, voire même un ministre, mais aussi avec des enfants. Les sponsors ont proposé leur soutien, comme pour des concerts pop. Des restaurants et des hôtels ont proposé d’accueillir les événements, les marques de vêtements de les habiller, et les fabricants de boissons sucrées de subventionner les séances.
S’ils ont réussi, c’est qu’ils ont su se servir des réseaux sociaux. Le DAkpabli Readathon possède sa propre page sur Facebook pour informer et interagir, partager des blagues, des photos et des rêves. Les séances sont aussi diffusées en direct.
Les deux hommes ne sont pas les seuls à lire. La lecture est entrecoupée de musique et de discussions avec le public, qui est encouragé à poser des questions et à partager ses points de vue. Du popcorn est offert comme au cinéma et les questions fusent sur les spécialités appétissantes du Ghana comme le riz Jollof, la soupe aux arachides avec du fufu (manioc pilé et bouilli), le kenkey (raviolis au levain) et le gari (une recette nigériane à base de fufu).
Un vibrant appel
Les discussions sur la nourriture touchent une corde sensible. Maame Akua T. Yawson, une étudiante en 4eannée d’architecture, explique que l’évocation du fufu l’a ramenée aux préparations du dimanche de son enfance, quand elle regardait avec son frère leurs parents piler le fufu pour le repas rituel. « Je voudrais tellement, ne serait-ce que pour un dimanche, être à la maison pour un bol de fufu mou avec une soupe épaisse. »
Une autre raison du succès du marathon littéraire provient du niveau élevé d’alphabétisation et de la fi erté nationale qui prévalent au Ghana. D’après les chiffres de l’Unesco, le taux d’alphabétisation est de 75 %, voire de 80 % pour les jeunes.
Gabriel Karikari, un auteur qui est passé écouter une séance un samedi, estime qu’il ne s’agissait pas d’une lecture, mais plutôt d’une « nuit d’inspiration ». « Certains ont sérieusement conservé leur identité. La seule façon de préserver le Ghana et de propager sa culture se fera par nos écrits. Je ne veux pas direque les auteurs ghanéens doivent seulement écrire, mais qu’ils écrivent avec cette saveur ghanéenne spécif i que, un peu comme notre Jollof. »
Les séances de lecture aident divers publics à redécouvrir le plaisir de lire.
Des sentiments que partage M. Akpabli, disant que les écrivains ghanéens doivent être encouragés. « La société encourage la consommation de produits‘Fabriqué au Ghana’, et nous ne devons pas oublier les livres qui le sont aussi. »
lls ont introduit le concept d’auteurs invités pour que d’autres écrivains puissent communiquer avec les lecteurs lors du marathon littéraire. Une de leurs invitées, Ruby Yayra Goka, est dentiste. Elle a commencé en écrivant pour les jeunes adultes et deux de ses cinq livres, The Mystery of the Haunted House et The Lost Royal Treasure ont obtenu le troisième et le second prix lors des éditions 2010 et 2011 du Burt Award for African Literature, qui récompense les auteurs de Tanzanie, d’Éthiopie, du Ghana et du Kenya. « C’est vraiment une initiative merveilleuse, dit Mme Goka en parlant du marathon littéraire. Les écrivains ont la chance de pouvoir rencontrer leurs lecteurs et d’avoir leurs impressions. Un autre avantage, c’est de pouvoir voyager hors de la capitale. »
Mme Goka croise les doigts, souhaitant que les marathons littéraires deviennent un jour des événements d’une semaine. « Je veux aussi que tout le monde y participe, ajoute-t-elle. Pas seulement les entreprises, mais aussi les éditeurs et les simples lecteurs. »
Les marathons littéraires n’attirent pas que les Ghanéens. Francis Wachira, un étudiant kényan en administration des entreprises de l’Université Ashesi près d’Accra, estime que la lecture, même si elle n’est pas le passe-temps préféré de tout un chacun, est une source de connaissances et permet aux gens d’élargir leurs horizons. « Cette campagne vise à faire de la lecture une activité agréable pas seulement au Ghana, mais sur tout le continent. Elle permet de contredire le proverbe qui veut que ‘La seule façon de cacher quelque chose à un Africain est de l’écrire dans un livre’. » CA
(Reportage du Kenya.)