Les relations sino-britanniquesaprès le Brexit
2016-11-23TIANDEWEN
TIAN DEWEN*
Les relations sino-britanniquesaprès le Brexit
TIAN DEWEN*
Le 23 juin 2016, le peuple britannique a décidé, par un référendum très serré, de quitter l’Union européenne. Un résultat inattendu pour la plupart des observateurs. Qu’il s’agisse du Royaume-Uni, de l’UE ou d’autres entités responsables, personne n’avait prévu de réponse à ce cas de figure. Les résultats du scrutin à peine proclamés, le premier ministre David Cameron a annoncé sa démission et son successeur, Theresa May, s’est rendu dès sa prise de fonction en Allemagne et en France pour une première prise de contact avec les partenaires européens du Royaume-Uni. Jusqu’ici, les consultations politiques entre le Royaume-Uni et les États membres de l’UE s’en tiennent à rappeler des principes généraux. L’UE et le Royaume-Uni ont convenu d’entamer leurs négociations de séparation dans un délai de six mois. En ce qui concerne les relations sino-britanniques, le Brexit suscite également de nombreuses incertitudes. La Chine et le Royaume-Uni sont d’importants partenaires commerciaux l’un pour l’autre. Lors de la visite du président Xi Jinping au Royaume-Uni en octobre 2015, les deux pays ont déclaré établir un « partenariat stratégique global orienté vers le monde ». Le Brexit crée donc une nouvelle donne pour les relations bilatérales.
Le Royaume-Uni souhaite poursuivre ses coopérations commerciales internationales
Le Royaume-Uni est à l’origine de la globalisation économique et il demeure l’un des acteurs les plus importants du commerce international. Sa sortie de l’UE ne signifie pas pour autant qu’il souhaite s’écarter de l’économie européenne ou mondiale. La première destination étrangère choisie par la première ministre Theresa May dès sa prise de fonction a été l’Allemagne. À l’issue de son entretien avec son homologue allemande Angela Merkel, Mme May a déclaré qu’après la sortie de l’UE, son pays espérait forger avec l’Allemagne « un partenariat fort et constructif » bénéfique aux deux peuples. Elle entend maintenir une relation de coopération économique étroite entre les deux nations. L’Allemagne est le second partenaire commercial et le second pays source d’investissement étranger pour le Royaume-Uni. À ce jour, 1300 entreprises britanniques opérant en Allemagne emploient 220 000 personnes. Lors de sa rencontre avec le président français François Hollande, le chef du gouvernement britannique a également exprimé sa volonté d’entretenir un lien économique étroit avec la France après la sortie du Royaume-Uni de l’UE, soulignant qu’à l’heure actuelle, le Royaume-Uni est le cinquième marché d’exportation pour la France, qui occupe la même place dans le sens inverse. 360 000 employés britanniques travaillent dans des entreprises françaises implantées au Royaume-Uni et ce dernier est le cinquième pays destinataire pour les investissements français. Elle a déclaré d’autre part que le Royaume-Uni resterait ouvert aux entreprises et citoyens français après le Brexit. Les échanges économiques et commerciaux entre le Royaume-Uni et les États membres de l’UE sont cruciaux pour l’économie britannique. Réactualiser cette relation de façon appropriée, telle sera la question critique et très complexe à laquelle les négociations entre partenaires devront apporter des réponses.
En 2015, les échanges commerciaux sino-britanniques ont atteint 78,5 milliards de dollars. Le Royaume-Uni était le second partenaire commercial de la Chine en Europe après l’Allemagne. En même temps, il était le premier pays destinataire des investissements chinois en Europe. Fin avril 2015, le stock d’investissement de la Chine au Royaume-Uni totalisait 42 milliards de dollars et plus de 500 entreprises chinoises étaient implantées dans le pays. Plusieurs projets de construction d’infrastructures lancées par le gouvernement britannique ont bénéficié d’un soutien financier chinois. Selon les chiffres publiés par UK Trade & Investment, au cours de l’exercice financier 2014-2015, la Chine a investi directement dans 112 projets britanniques, créant environ 6 000 nouveaux emplois. En septembre 2016, durant son séjour à Hangzhou où elle participait au Sommet du G20, Mme May a affirmé que les relations sino-britanniques entrent dans un « âge d’or ». En effet, il existe un large éventail de coopérations possibles et un énorme potentiel. La partie britannique œuvre à approfondir le partenariat stratégique global et accroître la compréhension et la confiance mutuelles, espérant intensifier avec la partie chinoise la coopération en matière d’échanges économiques, commerciaux, d’investissement, ainsi que dans les domaines de la finance, de la sécurité et de l’exécution de la loi. Cela prouve qu’au moins sur le plan des volontés déclarées, et malgré les résultats du référendum, le Royaume-Uni souhaite poursuivre l’élan du développement de ses relations avec la Chine. À cet égard, le président Xi Jinping a réagi positivement en soulignant que l’année 2016 serait sans doute la première année de cet « âge d’or » des relations sino-britanniques. Comme l’année 2017 marquera le 45eanniversaire de l’établissement des relations diplomatiques des deux pays, la partie chinoise souhaite œuvrer de concert avec la partie britannique pour porter le partenariat stratégique global orienté vers le monde au XXIesiècle vers un nouveau palier.
Effets négatifs du Brexit sur les relations économiques et commerciales
La plus grande incertitude pour la rela-tion sino-britannique qu’apporte la sortie du Royaume-Uni de l’UE provient de la tendance future de l’économie britannique. Pour l’heure, ce pays est la cinquième puissance économique mondiale. Si l’économie britannique continue de se rétracter suite au processus de sortie de l’UE, cela affectera non seulement l’économie mondiale, mais aura des répercussions sur les perspectives de développement de la coopération sino-britannique en matière économique et commerciale.
Le 5 septembre 2016, le président chinois Xi Jinping a rencontré la première ministre britannique Theresa May en marge du Sommet du G20 à Hangzhou.
D’abord parce que le cavalier seul du Royaume-Uni signifiera son retrait du marché unique européen, ce qui entraînera une hausse inéluctable des droits de douane sur les échanges avec l’UE, et un accroissement probable des barrières non douanières pour les échanges commerciaux entre les deux parties, qui entraînera mécaniquement une hausse des prix du commerce de marchandises entre le Royaume-Uni et l’UE, un coup dur pour l’élan de développement du commerce international du Royaume-Uni. Étant donné le haut degré d’interdépendance économique qui lie les deux côtés de la Manche, on peut s’attendre à ce que la question des arrangements avec le marché unique soit traitée avec prudence. Pour l’UE, si elle accordait trop d’avantages au Royaume-Uni, cela pourrait encourager d’autres « eurosceptiques » parmi les États membres à faire à leur tour sécession. Si elle se montrait excessivement intransigeante au contraire, l’économie européenne qui peine à trouver la reprise en souffrirait également. Par conséquent, on peut espérer que les deux parties seront amenées à rechercher des moyens susceptibles de maximiser les intérêts de part et d’autre. Cependant, dans la mesure où le Royaume-Uni ne pourra plus bénéficier des avantages futurs de l’intégration européenne une fois qu’il aura tiré sa révérence, ces arrangements au sujet du marché unique ne seront qu’un lot de consolation. Il est certain que les investisseurs afficheront dorénavant des attentes plus pessimistes quant aux perspectives de l’économie britannique, entraînant par là même un impact négatif sur la croissance future de l’économie du pays. Pour l’heure, les négociations de sortie ne sont pas encore entamées. La partie britannique n’a pas encore proposé de plan à ce sujet. Ces deux ou trois prochaines années, on peut s’attendre à ce que l’incertitude accompagne le processus de sortie du Royaume-Uni de l’UE. Comme ces dernières années le commerce entre la Chine et le Royaume-Uni représentait environ 3 % du volume total du commerce extérieur chinois, on peut se rassurer en disant qu’un ralentissement de la croissance économique au Royaume-Uni n’affecterait pas l’économie chinoise. Toutefois, l’incertitude induite par le Brexit sur la reprise de l’économie globale pourrait avoir des retombées sur l’économie chinoise dans la nouvelle normalité.
Ensuite, parce que la Chine et le Royaume-Uni sont parvenus à un consensus sur l’opposition au protectionnisme et la libéralisation commerciale. Le 7eDialogue financier sino-britannique qui s’est tenu le 21 septembre 2015 a donné un coup de pouce aux négociations Chine-Europe concernant le traité sur l’investissement, appelant à lancer le plus tôt possible les négociations Chine-Europe sur les zones de libre-échange en tant qu’important domaine de coopération. Désormais engagé dans le processus de sortie de l’UE, le Royaume-Uni ne peut plus jouer son rôle de promoteur de la coopération économique et commerciale Chine-Europe au sein de l’UE. Néanmoins, il se réserve le droit d’entamer une coopération séparée en matière de libre-échange avec la Chine. Le 24 juillet 2016, le ministre britannique des Finances Philip Hammond a déclaré que le Royaume-Uni signerait volontiers un traité de libre-échange avec la Chine. À l’heure actuelle, la Chine est le quatrième marché d’exportation et la deuxième source d’importation pour le Royaume-Uni. L’établissement d’une zone de libre-échange profiterait aux deux parties. Cependant, dans son processus de sortie de l’UE, le Royaume-Uni fait face à un risque de contraction de sa croissance. L’UE pourrait d’autre part faire pression pour l’empêcher de réaliser des progrès trop rapides dans le domaine du libre-échange. C’est pourquoi il est difficile de pronostiquer l’avancement du processus de coopération en matière delibre-échange sino-britannique. En ce qui concerne la relation Chine-UE, il est à prévoir que la sortie du Royaume-Uni une fois le processus lancé, affaiblira la puissance économique et politique de l’UE. Dans un proche avenir, l’UE aura besoin de consacrer davantage d’énergie à la gestion de ses affaires intérieures. Il se peut donc que sa capacité et sa volonté, en tandem avec les États-Unis, de contenir la Chine, soient revues à la baisse, ce qui sera favorable à une amélioration de la qualité de la coopération économique et commerciale qui pourrait encore s’approfondir entre la Chine et l’UE en se basant sur l’égalité et l’intérêt réciproque. Toutefois, l’UE étant éprouvée par la triple crise qu’elle traverse, à savoir celle de la dette, des réfugiés et du Brexit, il se peut que le protectionnisme revienne à la mode du côté de l’UE, ce qui aurait des conséquences négatives sur les perspectives de relation Chine-UE.
Troisièmement, Londres constitue pour l’heure l’un des plus importants marchés de transactions du yuan en dehors de l’Asie. Selon le classement dressé par le réseau SWIFT en juin 2016 pour les opérations offshore de la monnaie chinoise, le Royaume-Uni dépasse déjà Singapour et occupe la seconde place mondiale avec 6,3 % de part de marché alors qu’au même moment, l’Allemagne ne représente que 0,54 % de part de marché en termes de transactions offshore en yuans. La sortie de l’UE pourrait porter un coup dur au secteur financier britannique. Les institutions financières à Londres font face au risque de perdre l’autorisation de fournir les services financiers aux 27 autres États membres de l’UE. Si, à l’avenir, les institutions financières basées à Londres étaient jugées par l’UE comme institutions financières d’un « pays tiers », selon la directive MiFID II, il leur faudrait satisfaire à la fois aux exigences de supervision de leur pays d’origine, du Royaume-Uni et du pays membre de l’UE où leur nouvelle filiale est implantée pour être autorisées à pénétrer sur le marché de l’UE, d’où une hausse significative des coûts de supervision. En même temps, après la sortie du Royaume-Uni de l’UE, il n’est pas certain que Londres conserve son mandat de la Banque centrale européenne pour servir de centre d’échanges en euros. La position de Londres en tant que centre financier se dégraderait alors très vite et cela ne manquerait pas de jeter une ombre sur les perspectives de coopération financière sino-britannique.
La Chine attache de l'importance au développement futur de la relation bilatérale
Le 9 septembre 2016, 51 bus électriques produits conjointement par les constructeurs chinois BYD et britannique ADL ont été mis en service à Londres.
Pour la Chine, il est très important de maintenir la relation sino-britannique dans son « âge d’or », tant sur le plan économique que politique. Lors de sa rencontre avec la première ministre britannique Theresa May en marge du Sommet du G20 à Hangzhou, le président Xi Jinping a réaffirmé que la coopération entre la Chine et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil de sécurité, membres du G20 mais aussi d’autres mécanismes internationaux, bénéficie non seulement aux deux peuples, mais aussi à la paix et au développement dans le monde. La partie chinoise est donc prête à travailler de concert avec le nouveau gouvernement britannique pour approfondir sans cesse la confiance politique mutuelle et la coopération et les échanges dans tous les domaines, et faire progresser encore plus et de façon plus stable la relation entre les deux pays.
Dans les prochaines années, la gestion de la sortie du Royaume-Uni de l’UE sera un des axes centraux du travail du gouvernement britannique. Les défis et opportunités pour la relation sino-britannique s’inscrivent dans ce contexte. En août 2016, Theresa May a soudain déclaré qu’elle suspendait le projet de construction de la centrale nucléaire d’Hinkley Point. Ce projet est le fruit d’une coopération tripartie entre le Royaume-Uni, la France et la Chine, un projet phare de coopération innovante sino-britannique et sino-européenne. Selon certains reportages, il semblerait que la décision a été prise par la nouvelle administration britannique principalement en raison de la pression de l’opinion publique inquiète pour la sécurité nucléaire. La BBC a indiqué dans un reportage sur son site qu’après le Sommet du G20 à Hangzhou, l’administration May avait décidé de relancer le projet d’Hinkley Point. Selon une analyse de la revue The Economist, les considérations politiques l’ont emporté sur les préoccupations de sécurité nucléaire, d’autant plus que cela concerne les relations diplomatiques du Royaume-Uni avec la France et la Chine. Durant cette période sensible de l’après-référendum, la Première ministre May ne pouvait pas courir le risque de vexer deux grands partenaires commerciaux du Royaume-Uni. Selon d’autres reportages, l’accord final conclu diffère très peu de la version que Mme May avait suspendue, seules y ont été ajoutées des conditions en matière de sécurité pour les investissements futurs touchant le domaine des infrastructures clés au Royaume-Uni. Selon un reportage dans le journal britannique Times, des sociétés britanniques chercheraient à faire obtenir à des fournisseurs britanniques une partie du contrat. Cette dernière représente 64 % du coût total du projet de 18 milliards de livres sterling pour les composantes soumises à l’appel d’offres ouvert aux entreprises britanniques. Ces péripéties illustrent bien le fait que le développement des liens entre la Chine et le Royaume-Uni tend à se compliquer. Lesacteurs situés à l’intérieur du Royaume-Uni, de l’UE ou de ses États membres vont former un nouveau paysage de jeu dans le processus de sortie du Royaume-Uni de l’UE et les impacts que cette donne inflige à la relation sino-britannique méritent que nous les suivions avec attention.
Dans l’avenir, si le Royaume-Uni entend maintenir sa position de grande puissance, il devra intensifier sa coopération avec la Chine. Lors de sa rencontre avec Mme May venue participer au Sommet du G20 à Hangzhou, le président Xi Jinping a esquissé un plan de promotion future des relations économique et politique entre les deux pays : les deux parties doivent maintenir l’élan des échanges de haut niveau, continuer à mener à bien les mécanismes de dialogue de haut niveau, renforcer la communication stratégique et la coordination et la planification, continuer d’approfondir la compréhension et la confiance mutuelles. Parallèlement, pendant que les deux parties continuent à promouvoir la coopération pragmatique dans les domaines majeurs comme l’investissement économique et commercial, l’énergie, la construction d’infrastructures, la finance, entre autres, elles doivent également élargir activement leur coopération dans les secteurs émergents, tels que l’urbanisation, les nouvelles et hautes technologies, les énergies propres, et approfondir les échanges dans les domaines culturel, éducatif, sanitaire, sportif, de la jeunesse et des médias, sans oublier d’explorer la possibilité d’un mécanisme de coopération en matière d’exécution de la loi, afin de faire progresser la coopération en matière de lutte contre la corruption et de rapatriement des personnes corrompues et des fonds illégaux. Les deux parties doivent aussi intensifier leur coopération sur des questions d’actualité et dans le cadre de l’ONU, du G20, de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, pour accroître la confiance politique mutuelle, élargir les intérêts communs et résoudre de façon appropriée les divergences. Si la coopération dans ces domaines peut être concrétisée, les espaces seront toujours vastes pour la coopération entre les deux pays à l’avenir.
*TIAN DEWEN est chercheur à l'Institut d'études européennes de l'Académie des sciences sociales de Chine.