Mission impossible ?
2016-09-12
Mission impossible ?
L’opposition africaine à la Cour pénale internationale (CPI) menace un important recours légal disponible aux victimes de violations des droits de l’homme du continent par Annelie Rozeboom QuELQuES 122 États ont ratifié le Statut de
Rome qui a établi la Cour pénale internationale (CPl) en 2002, parmi lesquels 34 pays africains. Cependant, deux affaires à l’encontre d’actuels dirigeants africains suscitent de fortes critiques, on reproche à la CPl de se focaliser sur l’Afrique.
Lors de la première affaire, en mars 2011, la CPl a inculpé le leader kenyan Uhuru Kenyatta, devenu président deux ans plus tard, d’être derrière les violences électorales de 2007. Par la suite, la non-coopération du gouvernement kenyan pousse le procureur et les juges à finalement abandonner les charges en 2015.
Dans la deuxième affaire, la CPl a émis un mandat d’arrêt en 2009, puis à nouveau en 2010, contre le Président soudanais Omar el-Béchir pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. La cour a cependant été incapable de l’arrêter et de le juger. En juin dernier, il a été autorisé à quitter l’Afrique du Sud, un des signataires du Statut de Rome, quelques heures avant que la Cour suprême du pays n’ordonne son arrestation.
Alors qu’il risquait encore un procès à La Haye (siège de la CPl), en octobre 2013, UhuruKenyatta s’en prend à la CPl dans un discours face à l’Assemblée de l’Union africaine (UA), l’accusant d’être devenue « le jouet des déclinantes puissances impériales ». Dans une interview en 2009, Omar el-Béchir affirme que la CPl est un « outil pour terroriser les pays que l’Occident considère désobéissants ». Quand Omar el-Béchir est autorisé à s’enfuir d’Afrique du Sud, le Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir en Afrique du Sud, déclare que la cour « ne remplit plus les objectifs pour lesquels elle était créée ».
L’opposition africaine
L’opposition africaine à la CPl converge autour de l’argument que la cour défend les intérêts d’autres pays. « Les opposants les plus virulents affirment que la loi internationale ne s’applique pas aux puissants, uniquement aux faibles – d’où l’intérêt pour l’Afrique, nouveau laboratoire de la cour », écrit Terence McNamee en 2014 dans l’article La CPI et l’Afrique, publié par la fondation Brenthurst basée à Johannesburg.
La procureure de la CPl, Fatou Bensouda, soutient que la majorité des affaires en cours ont été recommandées à la CPl par des pays africains. « Ces recommandations sont finalement une demande d’intervention de la CPl par ces pays », affirme la juriste dans une interview à la BBC.
Par ailleurs, l’UA a décidé d’étendre la juridiction de ses tribunaux pour pouvoir juger sur le continent toute personne accusée de sérieux crimes internationaux. « L’élargissement du mandat de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme (CAJDH) nous aidera à promouvoir la recherche de solutions africaines à des problèmes africains », a déclaré le Président sud-africain Jacob Zuma face à son Assemblée nationale en 2014.
Dans cette même démarche, l’Ouganda et le Kenya (membres de l’UA) ont créé des divisions dédiées aux crimes internationaux au sein de leur Cour suprême, explique McNamee. En juin 2014, l’UA a de nouveau étendu le mandat de la CAJDH pour inclure la responsabilité individuelle pour des crimes commis en violation des lois internationales – tout en excluant les chefs d’État en exercice et les hauts fonctionnaires de la juridiction de la cour.
Une cour mondiale incontestée ?
Étant donné ces attaques à sa crédibilité et sa juridiction, la CPl peut-elle devenir une cour mondiale incontestée ? Selon certains observateurs, la cour doit d’abord prouver qu’elle peut juger et punir des criminels non-Africains. La CPl conduit actuellement des examens préliminaires pour un certain nombre d’affaires non-africaines, comme les crimes de guerre et autres maltraitances des Talibans en Afghanistan, ou bien la torture et les mauvais traitements dont sont accusées les forces armées des États-Unis entre 2003 et 2008. Des enquêtes similaires sont en cours en Géorgie, Guinée, Colombie et en Honduras. Le procureur a également rouvert l’examen préliminairesur la responsabilité des dirigeants britanniques dans les crimes de guerre impliquant la maltraitance systématique des prisonniers en lrak de 2003 à 2008. ll reste impossible de savoir si ces enquêtes aboutiront à un procès. « Chaque cas a son propre fondement juridique », affirme David Crane, procureur général du Tribunal spécial pour la Sierra Leone d’avril 2002 à juillet 2005.
Lorsque le suspect est citoyen d’un pays non-signataire du Statut de Rome, la CPl doit obtenir une recommandation du Conseil de sécurité des Nations Unies. Mais si elle cherchait, par exemple, à inculper le Président syrien Bachar el-Assad, elle serait tributaire du système de véto régissant le Conseil de sécurité. « La CPl est souvent accusée de faits qui sont en réalité le résultat de l’action ou l’inaction du Conseil de sécurité », constate Elise Keppler, directrice associée du programme de justice internationale pour Human Rights Watch.
D’autres observateurs pensent que la CPl ne pourra imposer son pouvoir en Afrique, et sur d’autres responsables de crimes de guerre dans le monde, sans la capacité de sanctionner les États membres. « Des sanctions précises doivent être définies pour les pays qui refusent de coopérer avec la CPl », écrivait Gwen P. Barnes en 2011 dans un article pour le Fordham International Law Journal. Pour être plus efficace, la CPl devrait amender le Statut de Rome pour qu’il soit possible de suspendre ou, dans les cas extrêmes, d’exclure des États membres quand ils refusent de coopérer avec la cour, poursuivait M. Barnes.
Selon Niels Blokker, professeur de droit international institutionnel à l’Université de Leiden, cette proposition n’est pas réaliste. « L’amendement du Statut est une procédure très complexe. ll semble logique de penser que les pays qui ne respectent pas le Statut devraient en être exclus, mais à quoi cela servirait ? L’objectif principal du Statut de Rome est de combattre l’impunité. Pour que cela soit possible, nous devons être capables de continuer le dialogue avec les États, et c’est impossible en les suspendant ou en les excluant. » Toutes les organisations internationales font face à des membres qui ne respectent pas les règles, assure le professeur Blokker. « C’est le grand dilemme de la coopération internationale. Aux Nations Unies, il est possible de suspendre ou d’exclure des membres, mais ça n’a jamais été fait. En faisant cela, on perd toute influence sur ce pays. En fait, ce n’est pas à la CPl de sanctionner les membres qui ne coopèrent pas, les États membres devraient se discipliner entre eux. »
L’UA veut étendre la juridiction de ses tribunaux pour juger de sérieux crimes internationaux
Les défis de la CPI
Selon certains observateurs, l’initiative africaine de juger les suspects de crimes internationaux sur le continent pose problème. L’organisation non-gouvernementale (ONG) spécialisée en droit international et en droits de l’homme, Avocats sans frontières, pense que cette initiative pourrait être « une manœuvre technique pour évincer la CPl de son mandat ». Une juridiction plus large pour la CAJDH résulterait probablement en une concurrence des juridictions et une multiplication du travail de la CPl, conclut l’ONG dans un article de 2012.
L’insistance de l’UA pour exclure les chefs d’État de la juridiction de l’CAJDH a également fait l’objet de vives critiques. Quand cette proposition a été rendue publique, près de 140 associations africaines et organisations internationales ont signé une pétition contre cette mesure. « L’UA a l’obligation de s’assurer que les mécanismes d’imputabilité sont en mesure de fonctionner et que la juridiction de sa cour n’est pas utilisée à des fins politiques », affirme David Crane. « Personne n’est au-dessus de la loi, pas même le ‘bon vieux club’ des dirigeants africains ».
En attendant, la CPl continue de s’occuper des affaires actuelles, comme par exemple du procès de Bosco Ntaganda, accusé de crimes de guerre en République démocratique du Congo, ou Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien, comparaissant pour crimes contre l’humanité. La cour a récemment montré les crocs en intentant un procès au politique congolais Jean-Pierre Bemba, à ses avocats et à trois autres personnes pour « corruption de témoins, en les payant et en leur donnant des instructions pour qu’ils fournissent un faux témoignage, présentation de fausses preuves et un faux témoignage au tribunal », explique un communiqué de presse de la CPl. La cour envisage également de référer l’affaire Kenyatta aux signataires du Statut de Rome, ou à l’ONU, pour mettre en évidence le manque de coopération kenyan, dans l’objectif d’imposer des sanctions au pays.
En octobre 2015, l’ANC a annoncé que l’Afrique du Sud pourrait se retirer du Statut de Rome. En octobre également, alors que la CPl avait demandé des explications au pays quant à sa gestion de l’affaire Bachar el-Assad, l’Afrique du Sud sollicite un délai avant de s’expliquer. La CPl lui avait donné jusqu’à fin 2015. Toutes ces affaires suggèrent que la route est longue avant que la CPl n’acquière une légitimité dans le monde, et particulièrement en Afrique. CA
(Cet article est d’abord paru dans Africa in Fact, le journal de la bonne gouvernance en Afrique).
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