APP下载

Quand les officiels chinois passent à la casserole

2016-03-25BASTIENROUSSILLATmembredeladaction

今日中国(法文版) 2016年3期

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction



Quand les officiels chinois passent à la casserole

SÉBASTIEN ROUSSILLAT, membre de la rédaction

D’ordinaire adeptes des longs discours-tiroirs, les officiels chinois se retrouvent aujourd’hui en direct à la télévision sous le regard du public pour des face à face sans fard et sans filet avec ce « peuple » qu’ils sont censés servir.

La Chine, et son histoire plurimillénaire, a inventé la bureaucratie. Cette magnifique invention léguée à la postérité est tellement enracinée dans la culture chinoise qu’elle en est devenue un symbole : le mandarin.

Parmi ceux-ci, certains fonctionnaires sont corrompus et un fossé est apparu entre la population qu’est censé servir le gouvernement et ces fonctionnaires malhonnêtes. Le président chinois en critique même très sévèrement cela dans son livre La Gouvernance de la Chine.

Pourtant, la Commission centrale de contrôle de la discipline veille au grain car les problèmes engendrés par ces fonctionnaires peu ardus au travail ou qui ne répondent pas aux demandes des gens posent plusieurs problèmes : la baisse de confiance de la population dans le système, la non-transparence des affaires gouvernementales mais surtout, l’efficacité et la responsabilité des fonctionnaires qui est finalement ce dont les gens se préoccupent le plus.

Pour remédier au problème, le gouvernement chinois a renforcé la force de frappe de la lutte anti-corruption et surveille l’intégrité et l’efficacité des fonctionnaires. La surveillance de ceux qui travaillent pour le gouvernement s’est accrue.

Mais une autre solution intéressante sont ces émissions de « face à face politique entre les fonctionnaires et le public ». Plusieurs programmes de ce type existent en Chine, et ce, depuis 2005. Le plus connu, mais aussi celui qui existe depuis le plus longtemps, est celui de Hubei Wuhan TV qui dure depuis 2010 et en est donc à sa sixième année. Depuis la première émission, les taux d’audience battent des records, avec par exemple 1,65 point d’audience pour l’émission de « grand examen annuel ». Les télévisions de Jinan, du Guangxi, de Beijing, de Wenzhou ou encore de Nanning ont également lancées des émissions de ce type.

Véritables forums à la chinoise, ces émissions, qui mettent face à face les fonctionnaires et les habitants d’une ville, permettent une certaine forme de démocratie directe et possèdent une fonction de surveillance du travail des fonctionnaires directement par la population.

La télévision comme moyen de surveillance

L’émission de Wuhan TV est diffusée en direct. Aux débuts de l’émission, elle consistait surtout en caméras cachées faites par les journalistes de l’émission et de questions-réponses entre le public, le présentateur, les spécialistes et les fonctionnaires concernées. Le public donnait ensuite une note au travail des fonctionnaires.

En 2013, lors de « l’examen de miannée », émission spéciale « réaliser les promesses-améliorer le travail-améliorer l’environnement » axée sur des thèmes tels que « efficacité, justice, service, gestion, environnement, 10 problèmes saillants etc… », 36 responsables de départements administratifs se sont retrouvés dans l’arène et ont dû répondre aux questions du public. Parmi eux, beaucoup étaient incapables d’y répondre.

La Chine étant le grand pays que l’on connaît, il est déjà difficile de l’administrer, contrôler ceux qui l’administrent est une autre paire de manches. Il ne suffit souvent pas que « la tête » dise pour que « les pieds » exécutent. Alors ces émissions, diffusées hebdomadairement ou une fois tous les mois pour la plupart, permettent aussi aux responsables de ces fonctionnaires récalcitrants d’avoir des retours sur le travail de leurs subalternes, de voir s’ils sont réellement efficaces ou non et si le peuple est réellement satisfait de leur travail.

De grandes sessions de « contrôle » appelées « examen de mi-année » et « examen de fin d’année » sont organisés tous les 6 mois par la chaîne du Hubei pour voir si les fonctionnaires qui sont passés dans l’émission au cours de l’année ont avancé sur les projets, répondu aux doléances du peuple ou résolu les problèmes soulevés auparavant. Façon de faire le bilan et parfois, de mettre les fonctionnaires « le nez dans leur caca ». À Wuhan, la note attribuée par le public aux fonctionnaires compte même pour 20 % dans leur évaluation générale et peut par conséquent avoir une incidence sur leur carrière.

Le but premier de ces émissions : faire avancer les choses, obtenir des résultats de la part des autorités et parfois dénoncer les fonctionnaires qui font traîner les dossiers ou font des promesses en l’air. Comme l’explique Chen Baosheng, secrétaire du comité du Parti de la ville de Lanzhou dans le Gansu, instigateur de la première émission de ce genre en 2005 : le but premier « était de trouver des solutions. La solution qui résout le problème est la meilleure solution, si c’est pour faire de beaux discours et qu’il ne se passe rien derrière, alors ça ne sert à rien. »

Un show politicien ?

Diffusées à des heures de grande audience, ces émissions attirent beaucoup de téléspectateurs et sont même sujettes à polémique. Le sujet intéresse évidemment les Chinois et hormis les personnes présentes sur le plateau, qui posent les questions, passent les fonctionnaires sur le grill et réagissent aux réponses données,les téléspectateurs participent aussi sur Weibo ou par téléphone et SMS.

Les réactions sont même parfois assez musclées. Certains fonctionnaires qui y ont participé disent même y avoir eu des sueurs froides et se rendre compte de la dureté de la tâche. Être face au public, à la population et devoir s’expliquer de ses actions ou inactions est effectivement plus difficile que « rester dans son bureau à lire Le Quotidien du Peuple un verre de thé à la main ».

On peut par exemple citer cette émission de Wenzhou TV où le directeur du bureau des finances de la ville se met à suer à grosses gouttes lorsqu’il doit présenter son bilan en direct devant le secrétaire du comité du Parti de la ville et les téléspectateurs, ou encore ce fonctionnaire du département du chauffage central de Jinan qui doit reconnaître que les promesses qu’il avait faites aux habitants d’une résidence du centre-ville n’ont pas été tenues, car ceux-ci n’ont toujours pas le chauffage.

Mais certains se posent la question du « est-ce que tout n’est pas préparé à l’avance ? », car c’est assez courant dans les émissions de télévision. Quelle est la part d’authenticité ? La chaîne de télévision de Wuhan décrit la préparation de l’émission comme aussi secrète que la préparation des examens du baccalauréat. « Avant la diffusion de l’émission, ni le secrétaire du comité du Parti, ni le directeur de la chaîne n’ont le droit de voir l’émission. »

Des caméras cachées sont organisées et permettent de mettre au jour des problèmes et la réalité hors des discours et des « projets Potemkine ».

L’émission de Wuhan TV qui compte une quarantaine d’épisodes a ainsi permis de dénoncer plus de 550 problèmes, allant de la pollution des lacs à la propreté de la ville. 760 fonctionnaires ont ainsi été « passés à la moulinette » et à peu près 90 % des problèmes soulevés lors des émissions ont été traités.

Un problème de pollution des lacs autour de Wuhan a plusieurs fois fait son apparition lors de l’émission, aujourd’hui, les 166 lacs ont été inclus dans un projet de protection et les phénomènes de pollution illégale et d’appropriation sauvage de ces lacs ont disparu.

Pour GuYibing le directeur de la chaîne, cette émission permet « aux gens de participer aux décisions municipales et de voir leurs vœux réalisés. Cela encourage les gens à participer à la politique et leur fait plus aimer leur ville ».

Des améliorations continues

Les émissions de « questions au gouvernement » sont un exercice de démocratie au niveau municipal et un exercice de communication pour les fonctionnaires chinois. Car c’est loin d’être leur fort.

Habitués aux discours longs comme un jour sans riz et à « la langue de bambou », ceux-ci n’ont jamais vraiment été confrontés à la question. D’habitude, on les écoute religieusement et peu osent remettre en cause ce qu’ils disent. D’où impossibilité de se rendre compte de ses erreurs, et surdité aiguë à la critique. La communication officielle chinoise se résume souvent à du formalisme sans vraie communication. Les journalistes n’osent d’ailleurs pas trop déranger ni pousser dans leurs retranchements ces pauvres fonctionnaires « sensibles » qui supportent difficilement la critique.

L’arène de l’émission de discussion politique de Wuhan TV.

Ces émissions, où les présentatrices sont souvent assez coriaces et ne laissent pas beaucoup de marge ni ne prennent trop de pincettes avec les « accusés », apprennent aussi aux fonctionnaires à répondre aux questions sans éluder, de façon claire et concrète ou tout simplement à accepter de dire « je ne sais pas », quand ceux-ci préféraient auparavant se retrancher dans le mutisme par peur de perdre la face.

Elles apprennent aussi aux gens du public et aux habitants de la ville à formuler leurs demandes et à pointer du doigt les problèmes de façon posée et non pas en faisant un scandale ou en tournant la discussion au pugilat, comme on peut le voir lors des débats dans certains pays.

Les gens voient aussi qu’en dehors du côté cathartique de l’émission – il y a un certain plaisir à voir les fonctionnaires pleurer, suer, trembler – un problème très sérieux est pointé du doigt : « l’attitude des fonctionnaires envers leur travail et le peuple » et l’impact que cela a sur la société et les projets de la communauté.

C’est d’ailleurs un des contenus importants du XVIIIeCongrès du PCC : l’efficacité du gouvernement et la gestion gouvernementale par la loi. « S’en tenir aux intérêts du peuple » est aussi un leitmotiv de la ligne politique chinoise actuelle.

Dans ces émissions, on est passé du « jeter les fonctionnaires dans la fosse aux lions » à la discussion posée et réfléchie pour résoudre des problèmes concretset aujourd’hui, les gens regardent ces émissions pour découvrir les problèmes existants et comment ceux-ci sont vont être résolus.

En octobre de l’année dernière, Wuhan TV a produit un nouveau programme : « Politique en direct » qui invite un responsable de département à venir régler les problèmes en direct ou à proposer des solutions aux problèmes soulevés par le public ou les téléspectateurs.

Une autre fonction de ces émissions est donc de permettre aux gens de surveiller et de vérifier si les problèmes soulevés ou exposés au grand jour ont été résolus. D’après les statistiques, lors des 5 émissions d’« examen de fin d’année » de 2015, 1,56 million d’internautes ont participé à l’émission sur Weibo, 4 950 problèmes ont été mis à jour.

Finalement, tout le monde semble y trouver son compte, malgré quelques doutes émis par certains sur ces émissions quant à leur objectivité ou leur efficacité, les gens n’attendent pas qu’elles deviennent un tribunal pour fonctionnaires ou une « réunion de plaignants », mais plutôt une sorte de conseil municipal télévisé où chacun peut s’exprimer, où des solutions aux problèmes puissent être trouvées, ou au minimum que les problèmes puissent être soulevés. En octobre de l’année dernière, Wuhan TV a produit un nouveau programme : « Politique en direct » qui invite un responsable de département à venir régler les problèmes en direct ou à proposer des solutions aux problèmes soulevés par le public ou les téléspectateurs.

Cela suffit à montrer l’intérêt que les Chinois portent aux problèmes de société et de politique publique et la voie vers laquelle s’engage ce pays de 1,3 milliard d’habitants aux traditions encore très bureaucratiques et les changements qui s’y impriment peu à peu.