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Le détournement et la dérive : les éléments de déjà-vu dans l’ensemble des œuvres de Modiano

2013-04-18

法国研究 2013年3期
关键词:亚诺文学创作莫迪

周 婷

Le détournement et la dérive : les éléments de déjà-vu dans l’ensemble des œuvres de Modiano

周 婷

【基金】教育部人文社会科学研究青年基金项目:空缺的意象——莫迪亚诺小说中的“寻根文学”研究,项目批准号: 13YJC752045;教育部国别研究基地科研自主立项子项目课题:莫迪亚诺小说中的犹太人命运研究。

Dans le café de la jeunesse perdue est un des derniers romans de Modiano qui a connu sa publication en 2007. Comme le cas habituel de l’écrivain, on découvre dans ce livre un sous-texte emprunté à Guy Debord : «A la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue.①In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni, film réalisé par Guy Debord, 1978.» En fait, on peut situer l’origine de cette citation dans les premiers vers de la Divine Comédie de Dante : « Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt sombre, la juste direction étant perdue. » Cette référence à Dante qui trace le parcours des limbes aux cercles de l’enfer, et puis de l’enfer aux pentes du purgatoire, et enfin vers le paradis, prépare la fin du roman : le saut ultime de Louki. En tant qu’un jeune dans les années 60, en visitant souvent Le Condé, un café près de l’Odéon, Modiano est beaucoup influencé par les situationnistes dont Guy Debord est perçu comme le fondateur. Contre toute culture « aliénée » à la suite d’un essor de l’industrialisation sociale, ce dernier pose sa théorie de la construction de la situation dont la « dérive » et le « détournement » sont les procédés les mieux connus.

Selon Manet van Montfrans dans Dante chez Modiano : une divine comédie à Paris, la notion de « la dérive » est définie par Debord comme « une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. » L’espace de la dérive ne peut être hors d’une ville et sa banlieue. Et lorsque l’on erre sans objectif précis, il faut se passer des sollicitations du terrain et de rencontres. Sur ce point-ci, on devrait reconnaître que dans l’ensemble des œuvres de Modiano, les traces marquées par des situationnistes sont très évidentes. Par exemple, les activités des personnages principaux dans les romans de Modiano (souvent d’un ton de la première personne au singulier) se limitent pour la plupart de cas dans une telle ou telle ville, et sa banlieue s’il est nécessaire. Des paragraphes de description apparemment un peu superflue envers les quartiers, les rues et les immeubles de Paris forment un style très particulier de cet auteur qui est pourtantconnu pour son laconisme. Pour les lecteurs qui ne sont pas encore familiers, en prenant un de ses livres, avec de rares exceptions, on ne s’empêche pas de se questionner sur ce privilège absolu qui s’applique constamment chez lui à « un spectacle de ville ». Et à l’aide de cette introduction des situationnistes dans le monde modianien, tout semblerait facile à expliquer ! D’après eux, l’aventure topographique et la désorientation sentimentale se correspondent. C’est-à-dire qu’au cours de la dérive, les hommes cherchent toujours inconsciemment « un rendez-vous possible ». A ce niveau, la topographie pour ces errances s’avère très psychologique et elle connaît plus de variation et mobilité que celle qui figure seulement une simple géographie. Issu d’une même époque, Modiano adopte « la dérive » de Debord tout en se révoltant contre l’aliénation de la vie urbaine dans la réalité. Quant au détournement, aux yeux de Debord, il le considère comme « une pratique de démontage d’œuvres d’art existantes dont les fragments, modifiés ou non, sont ensuite insérés dans de nouvelles créations.①Guy Debord, In girum imus nocte et consumimur igni, Paris, Gallimard, 2006, p.221, p.230.» En d’autres termes, c’est la construction d’une nouvelle situation avec les procédés de réunification de produits d’arts anciens et modernes. Le détournement chez Debord se caractérise par deux principes : le premier, les signifiés des éléments qui subissent un détournement doivent être dissipés ; et le deuxième principe souligne donc qu’après une organisation, le nouveau signifié de chaque élément qui participe au détournement doit être accordé. Cela veut dire que le détournement connaît lui-même une multiplicité des signifiés et possède à la fois une qualité de réitération infinie. Evidemment, la mise en application du détournement ne se limite pas à un jeu, à une simple imitation ou à un amusement, mais elle se désigne plutôt comme une négation, une subversion, voire une transcendance pour les concepts de valeur déjà établis. On le pratique avec plus d’intensité quand les hommes connaissent une période bouleversante où l’émancipation d’un système est en vogue. Dans ce sens, il ne nous serait pas trop difficile de comprendre pourquoi chez Modiano, un homme qui débute sa carrière d’écriture très jeune dans les années soixante du siècle dernier, et qui visite fréquemment le Condé du VIearrondissement où les situationnistes sont des habitués, ce sont toujours des éléments incroyablement semblables qui constituent des romans différents et que chaque fois l’impression d’ « écrire le même livre » aboutira finalement à une sensation bien autre que les précédentes.

Donc à la base de ces techniques prônées par le situationnisme à propos de « la dérive » et du « détournement », on est tenté par une tâche de déchiffrage sur les pistes superposées et transposées par notre écrivain dans l’ensemble de ses œuvres littéraires. Dans le café de la jeunesse perdue, comme Des inconnues, Accident nocturne et La petite Bijou, est un roman dont l’intrigue s’articule sur une jeune fille Louki, qui est à la recherche d’un principe de vie et qui dérive vers une fin tragique. En fait, Louki n’a pas été Louki. Elle s’appelait Jacqueline, un prénom qu’elle partage avec les héroïnes des autres romans de Modiano publiés antérieurement comme dans Du plus loin de l’oubli et dans Accident nocturne). Puis c’est Madame Choureau. Après qu’elle quitte son mari, les clients du Condé lui donnent le surnom Louki. En fait, Modiano implique peut-être ici consciemment une interprétation signifiante par cette nomination : « Louki » vient du latin « lux », c’est-à-dire la lumière. Laissons-nous faire d’abord un rappel de l’incipit du roman :

Des deux entrées elle empruntait toujours la plus étroite, celle qu’on appelait la porte de l’ombre.②Dans le café de la jeunesse perdue, p.11.

D’après l’Evangile selon saint Luc (13, 22-30), « la porte étroite » mène au paradis, mais la deuxième qualification, « de l’ombre » fait plutôt allusion à la porte dans la Divine Comédie qui conduit jusqu’en enfer. Dans ce cas-là, il ne serait pas étonnant que l’on prenne le nom de Louki pour un symbole de la lumière à laquelle aspirent les habitués du Condé et l’auteur lui-même.

Une fois de plus, Dans le café de la jeunesse perdue est un roman que réalise Modiano touten s’inspirant d’un fait divers paru dans les journaux. D’après les recherches de Denis Cosnard dans son livre Dans la peau de Patrick Modiano, telle est la une de France Dimanche, 4 décembre 1953: « En se jetant par la fenêtre, Kaki a mis fin au roman-type d’une désaxée de Saint-Germain-des-Prés ». Comme l’univers habituellement élaboré par Modiano, la fiction est fortement empreinte de réalité dans ce livre qui paraît un peu nostalgique. Cette fois-ci, notre écrivain transforme Kaki en Louki, chez Moineau①Moineau est l’un des cafés les moins chers de Paris dans les années 50. Il se situe au cœur de Saint-Germain-des-Prés. Là, il regroupe souvent une bande de jeunes pauvres dont l’un est Guy Debord.en Condé. A la sortie du roman, Modiano a même déclaré : « Elle (Kaki) a eu le même destin tragique que Louki dans mon livre ». De plus, notre auteur ajoute encore que lorsqu’il avait huit ou neuf ans, il avait été emmené par une jeune étudiante américaine au café Moineau. Et c’est ainsi qu’il avait fait la connaissance de Kaki : « Je me souviens d’une jeune fille, dans ce café, qui a eu un destin tragique. Elle m’avait très fortement marqué. Je l’ai ensuite romancée.②Le Nouvel Observateur, le 27 septembre 2007.»

A la fin du livre, Louki se sent « débarrassé d’un poids ». Cette sensation d’être soulagée fait impeccablement écho aux propos tenus par notre écrivain à l’occasion de la parution d’Un Pedigree en 2005 : « si tout cela était écrit noir sur blanc, cela voulait dire que c’était fini. (...) Une partie de ma vie s’achevait, une vie qui m’avait imposé ». On se permettrait de supposer que Louki représente sans doute une part très féminine et fugueuse chez Modiano. Et depuis des dizaines d’années, il s’efforce de transposer cette part en filigrane de ses romans, comme La Petite Bijou, Dora Bruder et Du plus loin de l’oubli. Dans ce dernier, une certaine Jacqueline fuit d’un moment à l’autre pour se rendre à Majorque, destination de son rêve où elle croit pouvoir faire peau neuve. Elle épouse en fin du récit un Georges Caisley. Et cette fois, dans Dans le café de la jeunesse perdue, ce Georges Caisley est remplacé par un Pierre Caisley. Et le détective qui effectue l’enquête sur Louki fait bien allusion à Modiano lui-même qui scrute sa vie depuis La Place de l’étoile. Dans le dernier chapitre, la narration de Roland, amant de Louki, offre en elle un asile pour abriter une ombre de l’auteur, puisque nous savons qu’après la mort de Rudy Modiano, notre écrivain se sent un survivant, comme l’avoue ce Roland qui se fait le dernier narrateur, à la fin du roman :

A partir de cet instant-là, il y a eu une absence dans ma vie, un blanc, qui ne me causait pas seulement une sensation de vide, mais que je ne pouvais pas soutenir du regard.③Dans le café de la jeunesse perdue, p.147.

D’autres traces de superposition et de transposition. Dans L’Horizon, Modiano reprend le nom de Bosmans comme son héros principal. Or, on peut le retrouver assassiné à la première page d’Ephéméride parue pour sa première fois en 2001④Ephéméride a connu trois versions dont la première est éditée par Gallimard et Le Monde, la deuxième l’est par Le Mercure de France et la troisième, de retour chez Gallimard, fait sa parution sous forme de roman intitulé Un Pedigree.. Un écart de 7 ans! Cette fois-ci, Jean se substitue à Pierre comme prénom. Depuis Une jeunesse, L’Horizon est le deuxième roman qui adopte la troisième personne comme le ton de narration. Pourtant on peut remarquer qu’à plusieurs reprises, Bosmans raconte à la place du narrateur. L’emploi de « vous » au cours de la narration n’est pas rare. Quelquefois, on se demande même si notre écrivain se glisse inconsciemment dans une habitude inéluctable. Un souci de trop ! Une alternance entre la première personne et la troisième personne donne un effet efficace : la distance entre l’auteur et son personnage y est raccourcie. Pour Jean Bosmans comme pour Jean Patrick Modiano, ils partagent les mêmes fantômes familiers. Bosmans est harcelé par une mère à la voix gutturale et accompagnée d’un homme avec une cambrure comme un torero. Tous les deux lui demandent de l’argent. Ce couple rappelle nettement la mère froide et avide et son ami Jean Cau qui est décrit comme un homme fasciné par les toreros dans Un Pedigree. Les deux cas font partie desimages allusives à l’absence d’une paternité qu’a connue l’auteur lui-même dans l’enfance.

A la fin d’Un Pedigree, Modiano confirme sa sensation de s’être débarrassé « pour la première fois de sa vie », ressentie à la veille de la publication de son premier roman La Place de l’étoile en 1967. Dans L’Horizon, après avoir remis le manuscrit de son premier livre à la dactylo, une même émotion surgit chez Bosmans : «Il se disait que c’était bien la première fois qu’il n’éprouvait plus un sentiment d’asphyxie et qu’il ne se tenait plus sur le qui-vive.①L’Horizon, p.83.».

Etroitement lié au mystère, l’occultisme est une question qu’aborde Modiano fréquemment dans ses œuvres. Avec un ouvrage paru aux éditions du Sablier, il évoque Orphée qui tente de convoquer Eurydice des Enfers. Dans L’Horizon, notre auteur fait renaître ces éditions du Sablier en introduisant une bande d’ésotéristes. En l’occurrence, Patrick Modiano se sert largement de L’occultisme pour créer son atmosphère de mystère. Il transpose un événement de 1953 qui concerne Tinia Faery, Bresle, Claude d’Ygé et de la Fraternité d’Héliopolis etc. au sujet de l’affaire de « magie noire rue Bleue ». Au premier étage du 27 rue Bleue, le Belge Maurice, sa femme et la voyante Florianne réunissent des disciples des sciences occultes. Ils sont arrêtés enfin par la police. Ce fascicule se fait un archétype pour beaucoup de personnages apparus dans les romans de notre auteur, tels que Paul Clavié dans Rue des Boutiques obscures, Louki de Dans le café de la jeunesse perdue, le docteur Poutrel dans L’Horizon... Les séances secrètes ne sont pas ménagées chez Modiano. Et ce scandale de l’initiation dans la vie réelle offre plusieurs indices pour expliquer quelques scènes répétées chez cet écrivain : un couple d’origine étrangère qui vit à Paris pendant les années noires, l’ésotérisme et quelques adresses louches cachées dans les rues de la capitale.

Evidemment, on n’oubliera pas « les corridors du temps » de Modiano pour expliciter sa magie de superposition et de transposition. Dans L’Horizon, chaque personnage a son image de source. Jean Bosmans espère retrouver Margaret Le Coz ; Bourlagoff connaît sa première existence dans Livret de famille, la dactylo Simone Cordier vient de Fleurs de ruine, Hervieu dont l’identité est laissée dans Villa triste, Suzanne Kraay est l’héroïne d’Un cirque qui passe et voit son ombre dans Accident nocturne... Les exemples sont multiples. On souhaite conclure ainsi un tel style si distingué et propre à notre écrivain, qui exige une lecture intertextuelle bien minutieuse dans tout l’ensemble de ses livres afin de pouvoir toucher à la cohérence qu’il établit peu à peu, à l’aide d’un tel extrait de L’Horizon : bien signifiant et tout se dit là. Il avait lu, la veille, un roman de science-fiction, Les Corridors du temps. Des gens étaient amis dans leur jeunesse, mais certains ne vieillissent pas, et quand ils croisent les autres, après quarante ans, ils ne les reconnaissent plus. Et d’ailleurs il ne peut plus y avoir aucun contact entre eux : Ils sont souvent côte à côte, mais chacun dans un corridor du temps différent. S’ils voulaient se parler, ils ne s’entendraient pas, comme deux personnes qui sont séparées par une vitre d’aquarium.[...] Mais un jour, par miracle, nous emprunterons le même corridor. Et tout recommencera pour nous deux dans ce quartier neuf.②L’Horizon, p.127., p.128.

作者单位:武汉大学外语学院法语系

(责任编辑:张亘)

居伊德波是法国当代思想家。异轨和漂移是其所创立的国际情景主义中两个重要理论,至今仍被广泛地运用到各种形式的艺术创作之中。莫迪亚诺,作为一名上世纪六十年代的青年作家,也深受其时代思潮的影响。经过梳理,我们发现,在这位现已年过花甲的作家近四十年的文学创作中,异轨与漂移已然成为构成其独特写作风格的重要手法之一。本文将从莫迪亚诺小说中的“似曾相识元素”出发,通过串联分析,从而试图揭示德波的异轨和漂移理论在莫迪亚诺文学创作中的运用与地位。

漂移 异轨 “似曾相识”元素

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