Comprendre les efforts et la persévérance pour transformer le Xinjiang
2021-08-03LIFANGFANG
LI FANGFANG*
Vue aérienne du projet de production d’énergie solaire thermique à sel fondu de 50 000 kW, à Hami, le 16 juin 2021
Shi Huifang, 81 ans, n’oubliera jamais la décision qui a changé sa vie, il y a environ six décennies : celle de s’aventurer dans le Xinjiang, une terre isolée et nue pour elle,dans le nord-ouest de la Chine. Elle voulait échapper à la pauvreté et se construire une meilleure vie en travaillant dur dans un nouvel endroit.
C’était également une bonne occasion de mettre fin à une relation avec un jeune homme dans laquelle elle n’était pas pleinement engagée. Cependant, elle ne s’attendait pas à ce que son petit ami apprenne sa décision et abandonne son travail d’ingénieur hydraulique dans le Jiangsu, une province de l’est de la Chine, pour la suivre dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, à quelque 4 000 km de là.
Le père de Mme Shi, espérant secrètement que quelqu’un pourrait s’occuper de sa fille dans cet endroit totalement inconnu, a donné son accord au mariage. Peu de temps après la cérémonie, en juillet 1959, Mme Shi et son époux se sont mis en route pour le Xinjiang. Elle avait 19 ans, lui 24.
En compagnie de 83 personnes de leur village, ils ont passé deux semaines dans un train en direction d’une petite ville de la préfecture autonome hui de Changji, à 40 km d’Urumqi, le chef-lieu du Xinjiang.
À cette époque, les habitants du Xinjiang étaient principalement des Ouïghours et des Kazakhs, ainsi que des migrants han de la province voisine du Gansu, qui vivaient au Xinjiang depuis des générations.
Mme Shi se rappelle ses premiers jours au Xinjiang : « Nous travaillions toute la journée et nous avons construit presque tout en partant de zéro. »Elle a participé à l’édification de canaux ainsi qu’à l’agriculture. Elle a eu la chance de suivre une formation médicale et est presque devenue enseignante avant de donner naissance à son premier enfant en 1962. Elle est alors devenue femme au foyer.
Bien que Mme Shi ait rarement partagé ces souvenirs avec ses enfants, la conversation s’est déroulée naturellement lorsque sa petite-fille est devenue curieuse quant à ses propres racines.
Je suis cette petite-fille.
La nouvelle frontière
Ma grand-mère s’enthousiasme chaque fois qu’elle repense à ses jeunes années, une période emplie de la vigueur de la jeunesse, d’un esprit aventureux ainsi que de souvenirs de dur labeur et de luttes.
Elle figurait parmi le premier contingent de personnes qui ont quitté le Jiangsu pour le Xinjiang,alors qu’une campagne de développement des régions frontalières du pays débutait dans les années 1950, lorsque la Chine souffrait de famine. En 1956,le pays a décidé de récupérer davantage de terres incultes, lorsque 46 000 personnes de la province du Henan (centre de la Chine) se sont rendues dans le Xinjiang. La plupart des terres incultes de la Chine se trouvaient dans les régions frontalières, notamment au Xinjiang.
Afin d’aider davantage le Xinjiang à rattraper les autres villes à l’intérieur du pays, le gouvernement central a encouragé plus de personnes des régions densément peuplées à venir y conquérir des terres incultes. De 1959 à 1960, plus de 120 000 jeunes adultes ont déménagé du Jiangsu vers le Xinjiang.Ils étaient agriculteurs, techniciens et enseignants,et parmi eux, des membres du Parti communiste chinois (PCC) et de la Ligue de la jeunesse communiste, qui comptaient pour respectivement 6 % et 20 % du nombre.
Mes grands-parents étaient membres de la Ligue de la jeunesse communiste, et mon grand-père a rejoint le Parti l’année suivant leur arrivée. Il a consacré tous ses efforts dans les projets liés à l’eau au Xinjiang. Toute sa vie, et peu importe combien c’était difficile, il n’a jamais émis la moindre plainte.Je me souviens qu’il ne manquait jamais le journal aux heures de grande écoute, le meilleur moyen pour lui de suivre le développement global du pays.
Dans la préfecture autonome hui de Changji,40 % des terres incultes récupérées ont été mises en culture par les nouveaux arrivants, qui ont également développé 80 % des projets liés à l’eau. Environ 75 % d’entre eux ont finalement choisi de rester et de contribuer toute leur vie au développement de la région.
Les impressions peuvent être trompeuses
J’ai vécu au Xinjiang jusqu’à mes 17 ans, quand je suis partie poursuivre mes études universitaires à Beijing. Jusque-là, je n’ai jamais vraiment réfléchi à la manière dont les autres voyaient la vie au Xinjiang.
Li Fangfang (2e à d.) se photographie avec de jeunes Tatares.
Cependant, alors que l’attention internationale se concentrait de plus en plus sur ma ville natale, les préjugés de certaines personnes m’ont durement frappée. Les termes que plusieurs journalistes occidentaux ont utilisés pour couvrir le Xinjiang, tels que « travail forcé », « contrôles de sécurité stricts »et « génocide culturel » sonnaient si étrangers à mes oreilles. Est-ce que le Xinjiang dans lequel j’ai grandi avait réellement changé ? Au cours des trois dernières années, je suis souvent retournée au Xinjiang avec cette question en tête, explorant la région du sud au nord et de la campagne à la ville.
Dans l’ensemble, la région dispose de plus de contrôles de sécurité qu’autrefois ; vrai, et en effet peu commode. La police vérifie la carte d’identité de chaque voyageur. Tous les bagages doivent passer par un scanner. Dans de nombreux endroits, le niveau de contrôle de sécurité quotidien est presque aussi strict que dans un aéroport. La population locale – moi y compris – s’en est plainte. Mais nous accordons beaucoup plus d’importance à la sécurité qu’à la commodité.
Les niveaux de sécurité ont progressivement été renforcés depuis l’incident terroriste du 5 juillet 2009, quand j’étais étudiante à Beijing. Celui-ci a fait 197 morts et plus de 1 700 blessés. Il a également causé de nombreux dégâts matériels, selon les données officielles.
De 1990 à la fin de 2016, des milliers d’attentats terroristes dans le Xinjiang ont tué un grand nombre d’innocents et des centaines d’officiers de police,selon un livre blanc de 2019 intituléLa lutte contre le terrorisme et l’extrémisme et la protection des droits de l’homme au Xinjiang. Derrière l’agression brutale et effroyable se profilait la menace du radicalisme religieux des séparatistes.
Shi Huifang, grand-mère de Li Fangfang
« Jusqu’il y a cinq ans, certains religieux radicalisés interdisaient de chanter et de danser durant les mariages dans les villages », me confie Mahmut Saidil, un ancien chef de village de la préfecture d’Aksu, dans le sud du Xinjiang. « Les produits courants, tels que les théières, les savons et les outils de communication de base étaient étiquetés comme non halal et les habitants avaient l’ordre de ne pas les utiliser. »
J’aurais aimé que les combattants des droits de l’homme se lèvent pour défendre ces personnes à l’époque, qu’ils combattent les extrémistes aux côtés des autres Chinois, sans distinction d’ethnie ou de religion.
« Plus de voix du Xinjiang devraient être entendues. Pas seulement des fragments fabriqués »,ajoute M. Mahmut.
Pour une vie meilleure
Au Xinjiang comme ailleurs, les gens aspirent à une vie meilleure. Mehrigul Aysa, 26 ans, habitante d’Hotan (une préfecture du Xinjiang), désirait une opportunité de travailler, mais elle devait s’occuper de ses enfants à la maison. Or, les gouvernements locaux ont amené plus d’industries dans la région,de sorte que la population puisse trouver de l’emploi près de son domicile, et particulièrement les femmes.
C’est grâce à cela que Mme Mehrigul a trouvé un emploi dans une entreprise textile locale à Hotan en 2019. Lorsque son mari a approfondi ses études dans une école professionnelle, elle a décidé de commencer à apprendre comment vendre des cosmétiques, grâce à des cours en ligne. Rapidement,elle a été promue de fileuse à directrice d’entrepôt,après avoir appris l’informatique sur le tas.
Quand je l’ai rencontrée, elle était vêtue d’une tenue habillée. Je n’aurais pas pu dire qu’elle était femme au foyer. « Avant, je ne connaissais que les travaux ménagers », m’a-t-elle expliqué, ajoutant qu’elle avait appris la mode et les méthodes parentales après le travail.
« Quand nous visitions leur maison et leur parlions, la plupart des femmes étaient timides et ne nous regardaient même pas dans les yeux », décrit Nurgul, membre du personnel de la Fédération des femmes de la préfecture d’Hotan. Elle évoque les changements dans la vie des femmes après qu’elles ont commencé à travailler hors de leur domicile. « À présent qu’elles sortent de chez elles pour travailler et qu’elles interagissent avec plus de personnes, elles deviennent de plus en plus extraverties. Sur leur lieu de travail, elles découvrent de nouveaux modes de vie grâce à leurs collègues venus d’ailleurs. »Auparavant, quand une femme mariée voulait de nouveaux vêtements, elle devait demander à son époux de les acheter pour elle. Aujourd’hui, elle peut se les offrir elle-même, poursuit Nurgul.
Des industries modernes
Tursunhan Tursunnyaz, une agricultrice d’Hotan, est devenue employée à temps plein dans une compagnie laitière en 2020. Elle a également acquis quelques vaches de son entreprise, grâce à une subvention gouvernementale.
L’entreprise a proposé une technologie d’élevage aux habitants qui possèdent des vaches. Cette année-là, le gouvernement local a investi quelque 75 millions de yuans (11 millions de dollars) pour acheter des vaches pour 3 766 foyers du district vivant sous le seuil de pauvreté national.
« Mon mari avait une charrette tirée par un âne quand je l’ai épousé il y a 15 ans », se souvient Mme Tursunhan. « Maintenant, je subviens à mes besoins. Je peux faire du shopping en ville et y savourer une fondue », sourit la jeune femme de 35 ans. Elle a obtenu son permis de conduire et sa famille envisage d’acheter une voiture.
Dans la préfecture de Hotan, la route du désert Tarim traverse tout le désert du Taklamakan, le 10 février 2019.
Cependant, toutes ces femmes ne savent pas qu’elles sont considérées comme des « travailleuses forcées » aux yeux de ceux qui ne connaissent pas ce contexte de vie au Xinjiang.
L’industrie textile a été décrite comme la première à recourir au « travail forcé » pour cueillir le coton ou faire tourner les usines. Le fait est que la mécanisation de la récolte du coton a commencé dès 2001 au Xinjiang, avant de se généraliser en 2009.
Fang Xu a travaillé en tant qu’assistant commercial pour les récolteuses mécaniques de coton durant plus de dix ans. Il est maintenant directeur du support des ventes pour la division des récolteuses de coton de China Railway Construction Heavy Industry Corp. (CRCHI), basée à Urumqi.
Il sert des clients de coopératives ou de services de location privés dans toute la région. Les récolteuses mécaniques de CRCHI ont été disponibles dans la région en 2019. « Auparavant, environ 90 % des récolteuses de coton étaient importées », commente M. Fang. « Mais les marques nationales ont pris leur essor ces dernières années. Le marché a un potentiel énorme et se développe rapidement. »
« Les agriculteurs renâclaient à utiliser des machines au début », détaille Mahmut Saidil. Sa ville natale d’Aksu est la principale base de production de coton à longues fibres. « Les récolteuses mécaniques de coton sont utilisées ici depuis plus de dix ans et la technologie est mise à jour d’année en année. » Pendant ce temps, des drones sont utilisés pour pulvériser des pesticides dans les champs.
Le principal avantage des machines produites dans le pays, selon M. Fang, est le support de vente 24h/24 et 7j/7, rendu possible grâce à l’équipement de surveillance à distance des machines, qui peuvent être contrôlées sur un téléphone portable en temps réel.
Plus je recevais d’informations de mes contacts au Xinjiang, plus je voulais montrer de respect envers mes grands-parents qui ont ouvert la voie au Xinjiang d’aujourd’hui. J’ai également réalisé à quel point les perspectives d’un individu peuvent être limitées par le manque d’informations de première main. J’accueille volontiers les gens au Xinjiang pour qu’ils en apprennent plus sur cet espace de beauté et de diversité.