« Je veux dire à la Chine :“Unissons nos forces” »—Interview exclusive de Pedro Pablo Kuczynski, président de la République du Pérou
2016-10-26JOHNNYMONTALVOetMENGKEXIN
JOHNNY MONTALVO et MENG KEXIN*
« Je veux dire à la Chine :“Unissons nos forces” »—Interview exclusive de Pedro Pablo Kuczynski, président de la République du Pérou
JOHNNY MONTALVO et MENG KEXIN*
De retour de sa visite d’État en Chine, M. Kuczynski nous livre son opinion sur ce grand pays, revient sur les projets sino-péruviens en cours et commente les perspectives de la coopération Chine-Pérou.
C’est par une douce journée d’hiver au Pérou le 29 août dernier que, dans sa résidence de San Isidro, le président de la République du Pérou, Pedro Pablo Kuczynski, a gracieusement reçu, dans le cadre d’une interview, les journalistes de notre bureau de représentation installé au Pérou.
C’est en Chine que M. Kuczynski a effectué sa première visite officielle à l’étranger, peu de temps après sa victoire à l’élection présidentielle et à seulement quelques mois de l’ouverture du Sommet de l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) à Lima, en novembre prochain. À dire vrai, de nombreux observateurs et experts des questions internationales ne s’attendaient pas à cette décision de la part de M. Kuczynski. De ce fait, La Chine au présent a souhaité connaître l’opinion du président péruvien sur la Chine et en faire part à ses chers lecteurs.
Élargir les champs de coopération
Quand nous avons demandé à M. Kuczynski pourquoi avoir choisi la Chine pour entreprendre sa première visite d’État après son entrée en fonction, il nous a répondu de manière simple et concise : « Pourquoi est-ce que je voulais aller en Chine ? La raison est simple : d’abord, c’est l’une des plus grandes économies au monde ; ensuite, la Chine est également le premier pays importateur de produits péruviens ; et enfin, je souhaitais inviter personnellement Xi Jinping à participer au Sommet de l’APEC qui se tiendra à Lima en novembre prochain. »
M. Kuczynski a insisté sur l’intérêt que le Pérou porte à la Chine : « Nous attachons une grande importance à nos relations avec la Chine et voudrions profondément les renforcer. » Il a ajouté que le Pérou désire attirer davantage d’investissements chinois. « La Chine est le principal pays investissant dans le secteur minier au Pérou et nous espérons que ce n’est qu’un début ». M. Kuczynski a énuméré les principaux projets au Pérou soutenus par des capitaux chinois : la mine de cuivre de Toromocho exploitée par Chinalco, la mine de cuivre de Las Bambas rachetée par China Minmetals et le projet minier de Rio Blanco dans la région de Piura (à la frontière du Pérou et de l’Équateur) par Zijin Mining. Par ailleurs, les montants des investissements ne cessent d’augmenter, et les projets en cours pourraient ouvrir de nouvelles tranches de travaux.
Toutefois, comme ces projets s’appliquent tous à l’industrie minière, ils s’étaleront sur une période de temps équivalente. M. Kuczynski considère que la Chine etle Pérou pourraient très bien orienter leur coopération vers d’autres secteurs également, comme les sciences et technologies, les télécommunications ou les chemins de fer.
« La Chine est aujourd’hui le pays détenant le record du plus long réseau ferroviaire au monde et elle a même réussi à construire la ligne Qinghai-Tibet en altitude, sur le haut plateau tibétain. En comparaison, nos ambitions sont bien moindres ici, au Pérou, mais nous envisageons de créer encore quelques voies ferrées : par exemple, des Andes à la côte et jusqu’aux rives du fleuve Amazone,pour desservir en particulier la périphérie de Lima, amenée à se développer en une importante zone urbaine dans les 15 à 20 prochaines années », a-t-il précisé.
Concernant la construction de la voie ferroviaire qui reliera la côte pacifique du Pérou à la côte atlantique du Brésil, M. Kuczynski estime qu’elle facilitera l’exportation de produits péruviens à base de soja vers la Chine à partir du Brésil, de par la réduction de la durée nécessaire au transport. « Actuellement, il faut compter entre 22 ou 23 jours de trajet ; après la construction du chemin de fer, ce temps sera réduit à 18 jours. » Bien qu’il soit très favorable à l’établissement de cette ligne, il remet en question la planification,qui selon lui doit être plus profondément étudiée. « Nous avons le choix entre plusieurs tracés aujourd’hui pour cette ligne ferroviaire. L’année dernière, le premier ministre chinois Li Keqiang, en visite au Pérou, a suggéré un itinéraire qui traverserait le nord du Pérou, ce qui serait une possibilité. Alternative possible sinon : l’itinéraire qui passerait par le sud du Pérou et traverserait la Bolivie. Le trajet serait alors plus court, mais en altitude. Par conséquent, je pense qu’il faut poursuivre les recherches pour déterminer l’option la plus appropriée. »
Au-delà de la coopération dans les secteurs traditionnels que sont l’exploitation minière et la construction d’infrastructures, le président péruvien attend, avec beaucoup plus d’impatience, de voir émerger une coopération Chine-Pérou dans le domaine des sciences et des technologies. Les rencontres et les échanges qu’il a eu l’occasion de mener avec le groupe chinois Huawei lors de son premier déplacement en Chine l’ont conduit à considérer très sérieusement cette éventualité.
Message de vœux du président péruvien Pedro Pablo Kuczynski à la Chine.
Encourager les investissements étrangers
De nos jours, le Pérou cherche à séduire davantage d’investisseurs pour stimuler la croissance économique du pays, a souligné M. Kuczynski.
Il a déclaré : « La constitution péruvienne prévoit les mêmes règles de traitement pour les investissements nationaux et les investissements étrangers. Autrement dit, notre système institutionnel est particulièrement accueillant à l’égard des investissements en provenance de l’étranger. Nous espérons réduire progressivement leur taxation pour encourager le réinvestissement des bénéfices et offrir des conditions avantageuses aux investisseurs étrangers. » Mais la mise en œuvre de mesures telle que la diminution des taxes demande du temps, a-t-il précisé. D’ici deux à trois ans, il devrait en premier lieu envisager une éventuelle diminution des impôts sur les dividendes. Il faut parallèlement, selon lui, faire attention au maintien de bonnes relations avec les populations autochtones : « Dans le secteur de l’exploitation minière, les relations avec les communautés locales de la périphérie sont capitales. Certaines de ces communautés vivent dans la cordillère des Andes. Il faut rendre service à la nation andine pour que les habitants soient favorables aux investissements. »
La Chine est non seulement le premier partenaire commercial du Pérou, mais aussi le pays investissant le plus dans l’industrie minière du pays. Ces dernières années, les projets miniers dans lesquels la Chine a participé se sont heurtés à divers problèmes, mais le Pérou s’efforce actuellement de traiter ces questions, a affirmé M. Kuczynski. Les entreprises chinoises ont investi dans les mines de cuivre de Toromocho et Las Bambas, ainsi que dans un projet de minerai de fer, mais elles ont aussi consacré des sommes d’argent et des efforts phénoménaux en faveur d’autres domaines, comme la protection de l’environnement. M. Kuczynski a expliqué que, le prix de l’acier accusant une baisse en ce moment, l’extraction du fer n’est pas un secteur attrayant. Les deux partenaires commerciaux que sont la Chine et le Pérou cherchent tous deux à rehausser le cours. De surcroît, la mine de cuivre de Toromocho fait face actuellement, dans son projet d’exploitation, à un problème : une trop forte teneur en arsenic. Ce phénomène est très commun dans les régions de hauts plateaux. Les sols de la région des Andes, et même de toute la cordillère américaine s’étirant de l’Alaska à la Patagonie, sont très riches en arsenic. « Cette question est en cours de résolution », a assuré M. Kuczynski.
Le projet minier de Las Bambas dans lequel a investi China Minmetals est particulièrement important. Dans quelques années, le volume de cuivre raffiné extrait de cette mine atteindra les 500 000 tonnes. M. Kuczynski a souligné que le transport des produits s’effectuait actuellement par la route, de telle sorte qu’une grande flotte de camions sillonne le Pérou : « Pour les zones résidentielles aux alentours, réparties sur une bande de 300 à 400 km², le bruit est désagréable : un camion passe toutes les sept minutes environ. » Cependant, ce souci est également en passe d’être résolu : à la moitié de l’itinéraire de transport, un poste de transfert route/rail a été construit. De là, un train pourra acheminer, sur la seconde moitié de l’itinéraire, le minerai jusqu’à la côte, soit de Las Bambas à Pillones. « Le problème est réglé à 50 %,nous travaillons à la résolution des 50 % restants. »
Meng Kexin offre un cadeau diplomatique à Pedro Pablo Kuczynski.
« Les touristes chinois sont les bienvenus »
L’Amérique latine est bien loin de la Chine, a rappelé M. Kuczynski. Alors, en vue de réaliser l’objectif de multiplier par deux la valeur économique du tourisme au Pérou dans un délai de cinq ans, il est primordial de prendre des mesures plus efficaces pour attirer les touristes chinois.
« Le Pérou est un pays jouissant d’une longue histoire, d’une multitude de monuments et d’une grande variété de paysages naturels. Il accueille chaque année 3,5 millions de visiteurs, la plupart arrivant du Chili, lesquels viennent découvrir notamment la jolie région de Tacna, dans le sud du Pérou. D’après le président Kuczynski, « le Pérou a le potentiel de faire doubler le nombre de visiteurs étrangers. Pour ce faire, nous devons attirer les gens du monde entier, en particulier les Chinois, qui représentent la population de touristes la plus importante après les Européens et les Américains. »
M. Kuczynski concède que les Chinois prêts à partir en voyage au Pérou sont encore peu nombreux de nos jours. Le Pérou devrait, avant toute chose, commencer par simplifier les procédures de visa. « Premièrement, nous devons autoriser l’entrée sans visa à tous les touristes chinois détenteurs d’un visa Schengen, américain, canadien ou mexicain. Deuxièmement, nous devons construire de nouvelles infrastructures, améliorer nos compétences en langues étrangères et cibler davantage la clientèle chinoise dans nos hôtels et restaurants. Notre pays possède une cuisine très riche et très variée, mais cela ne doit pas nous empêcher de proposer des plats issus des diverses cuisines chinoises, qui seront plus au goût des touristes chinois. Troisièmement, nous devons négocier avec le gouvernement chinois la mise en place d’itinéraires touristiques, un sujet assez compliqué. Le Pérou, lointaine contrée pour la Chine, devrait avant tout constituer une étape pour les Chinois qui voyagent à travers l’Amérique latine : ceux-ci pourraient partir du Pérou pour rejoindre le sud du Chili, les Caraïbes ou l’Argentine. » C’est un thème auquel le président péruvien a mûrement réfléchi. Le Pérou a donc de grandes chances de réaliser son objectif d’attirer plus de touristes dans un avenir proche.
« Je crois en la Chine »
Le Pérou accueillera, en novembre prochain, la Réunion informelle des dirigeants de l’APEC, ce qu’elle n’avait plus fait depuis huit ans. Parmi les principaux objectifs de la visite en Chine du président Kuczynski, l’un était d’inviter de vive voix son homologue Xi Jinping à participer à ce sommet.
M. Kuczynski a avoué s’intéresser de près à l’expérience chinoise. « J’ai chez moi le livre de Xi Jinping La Gouvernance de la Chine en deux exemplaires, dont un signé de sa main. » Il a exprimé : « Je crois en la Chine. Grâce à son système d’élection organisée tous les cinq ans, avec une durée au pouvoir limitée à deux mandats, le pays est en perpétuelle évolution, en constante modernisation. Un très bon point selon moi. »
« La première phrase que je souhaite formuler à l’intention de la Chine n’est autre que : “Nous aimons la Chine.” » Le président Kuczynski a poursuivi : « C’est le plus important. Au Pérou vit une communauté chinoise installée dans le pays depuis plusieurs centaines d’années. Le Pérou possède d’ailleurs une sorte de cuisine née de l’influence de la gastronomie chinoise, connue sous le nom de chifa. Ces Chinois, tout en ayant perpétué les traditions de leur patrie, se sont parfaitement intégrés dans la société péruvienne. C’est pourquoi je tenais tant à dire en premier lieu : “Nous aimons la Chine”. »
« Le deuxième message que j’aimerais adresser à la Chine, c’est que nous voulons renforcer nos relations avec elle sur un grand nombre de sujets, dont la coopération Asie-Pacifique, l’exploitation minière ou encore les investissements bilatéraux. Outre des minerais, au Pérou, nous exportons des produits agricoles transformés vers la Chine. Lors de ma visite, j’étais d’ailleurs accompagné d’industriels opérant dans la transformation de matières premières issues de l’agriculture. Parmi eux, certains exportaient déjà leurs produits à destination de la Chine ; d’autres envisageaient de se lancer sur le marché chinois. »
« Enfin, je veux dire : ‘‘unissons nos forces !’’ Séparés par un océan, nous nous faisons face au loin, certes. Mais dans le monde d’aujourd’hui, cette distance n’est pas insurmontable. Telle est à présent notre volonté. »
*JOHNNY MONTALVO et MENG KEXIN sont membres du bureau de représentation de La Chine au présent au Pérou.