La puissance des idées
2016-09-26
La puissance des idées
Justin Yifu Lin, ancien économiste en chef de Ia Banque mondiaIe et doyen honoraire de I'ÉcoIe nationaIe de déveIoppement de I'Université de Pékin, expIique sa céIèbre théorie, NouveIIe économie structureIIe (NES), et partage son avis sur I'avenir du déveIoppement économique du continent africain avec Ia journaIiste de CHINAFRIQUE, Rachel Richez.
CHINAFRIQUE : Quels sont les principaux aspects de la Nouvelle économie structurelle(NES) ?
Justin Yifu Lin : L'économie du déveIoppement est une nouveIIe sous-discipIine de I'économie moderne,qui n'apparaît qu'après Ia Seconde Guerre mondiaIe. À cette époque, de nombreux pays étaient en période de reconstruction après Ia guerre. Beaucoup de pays en déveIoppement venaient d'obtenir Ieur indépendance poIitique et Iançaient Ieurs propres efforts de modernisation. II faIIait une théorie pour guider ces efforts. C'était Ie début de I'économie du déveIoppement.
Nous appeIons Ia première théorie de I'économie du déveIoppement Ie structuraIisme. À I'époque, on pensait que si un pays en déveIoppement vouIait rattraper son retard avec Ies pays à hauts revenus, son revenu par ménage devrait être identique à ceIui de ces pays. Mais pour y arriver, iI faIIait avoir Ia même productivité du travaiI. Et pour avoir Ia même productivité du travaiI,iI faIIait avoir Ies mêmes industries de pointe. Les pays en déveIoppement étaient évidemment incapabIes de déveIopper ce genre d'industries. Les structuraIistes Ieur ont donc conseiIIé d'encourager I'intervention du gouvernement, pour compenser Ies faiIIes du marché. Leur intention était certainement bonne, mais Ie résuI-tat n'était pas bon.
Dans Ies années 1980, Ia théorie dominante devient Ie néo-IibéraIisme, parce que I'écart entre pays déve-Ioppés et en déveIoppement continuait de se creuser. Comme Ies trop nombreuses interventions gouvernementaIes sembIaient freiner Ies pays en déveIoppement, Ies néo-Iibéraux conseiIIent aux gouvernements de se retirer du marché. Mais Ie résuItat a été à nouveau catastrophique. La pIupart des économies des pays en déveIoppement ont stagné ou ont été frappées par de fréquentes crises.
La NES est considérée comme Ia troisième voie de réfexion sur Ie déveIoppement. L'idée est que Ie déve-Ioppement économique est un processus de changement structureI continu. II y a une différence fondamentaIe entre ma démarche et Ies deux approches précédentes. Dans Ie passé, Ies théories utiIisaient toujours Ies pays à hauts revenus comme référence. Avec Ia NES, c'est tout Ie contraire. Je conseiIIe aux pays en déveIoppement de regarder ce qu'iIs ont maintenant et ce qu'iIs peuvent bien faire et de créer Ies conditions pour un déveIopper à pIus grande écheIIe.
Que devraient faire les gouvernements pour encourager ce développement économique ?Dans Ia NES, je promeus un marché effcace et un État proactif. Le déveIoppement économique est un processus de transformation structureIIe continue, et au cours de cette transformation, nous devons déveIopper Ies industries compatibIes avec Ies avantages comparatifs du pays. Dans cet objectif, iI est important de compenser Ies premiers acteurs de ce déveIoppement par divers avantages, car iIs rencontrent toutes sortes de diffcuItés, par rapport aux acteurs suivants.
Deuxièmement, Iorsque vous menez à bien une mise à niveau industrieIIe, vous devez égaIement faire queIques améIiorations simuItanées dans Ies infrastructures, comme I'approvisionnement éIectrique, Ies routes ou Ies instaIIations portuaires. II faut égaIement améIiorer Ies services fnanciers, juridiques, et autres. Les entreprises privées ne peuvent pas prendre en charge ces améIiorations, eIIes ont donc besoin de I'aide du gouvernement.
Quel est le chemin à suivre pour ce type de développement économique ? Les pays africains peuvent-ils y arriver ?
En fait, c'est très simpIe. Vous avez juste besoin de comprendre queIs sont vos avantages concurrentieIs et queIs sont Ies obstacIes empêchant ces secteurs de se déveIopper. Puis, Ie gouvernement tentera de supprimer ces obstacIes.
Par exempIe, beaucoup de pays africains ont deux avantages. Tout d'abord, Ies ressources natureIIes, mais égaIement une jeune main-d'œuvre. Donc, iIs devraient avoir des avantages concurrentieIs dans Ies industries à forte main-d'œuvre. Mais pour déveIopper des industries à forte main-d'œuvre, iIs ont besoin d'avoir des infrastructures et un bon environnement commerciaI.
Dans ce genre de situation, Ie gouvernement peut déveIopper des parcs industrieIs, ou des zones écono-miques spéciaIes. II peut aussi fournir des infrastructures convenabIes, et faciIiter Ies services. Promouvant ainsi Ies investissements pour déveIopper Ies industries à forte main-d'œuvre. Si ces industries coïncident avec Ieurs avantages comparatifs, iIs peuvent créer un grand nombre d'empIois et devenir rapidement compétitifs. II n'y a aucune raison pour que Ies pays africains ne puissent pas Ie faire.
Justin Yifu Lin voyage souvent en Afrique pour rencontrer les dirigeants du continent, ici avec le Président du Rwanda, Paul Kagame.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de trop vous concentrer sur l'aspect industriel du développement et pas assez sur l'aspect agricole ?
Je parIe beaucoup de I'industriaIisation parce que si vous vouIez améIiorer et augmenter Ia productivité du travaiI continueIIement, vous devez faire deux choses. On doit avoir de I'innovation technoIogique dans Ies industries actueIIes, et encourager Ies nouveIIes industries pour créer de Ia vaIeur ajoutée. Mais iI faut égaIement faire innover technoIogiquement I'agricuIture et modifer sa structure. Dans Ies pays à faibIe revenu,Ies agricuIteurs, en généraI, pratiquent une agricuIture de subsistance, produisant seuIement pour eux-mêmes. Mais si vous vouIez augmenter Ie revenu agricoIe, vous devez produire pour Ies marchés.
Toutefois, I'agricuIture seuIe ne serait pas suffsante pour aider Ies pays en déveIoppement à sortir de Ia pauvreté. En effet, si nous augmentons Ia productivité dans I'agricuIture, Ies premiers agricuIteurs utiIisant Ia nouveIIe technoIogie augmenteront Ieurs revenus,mais si tous Ies agricuIteurs utiIisent ces technoIogies,Ies prix chuteront. À Ia fn, Ies revenus des agricuIteurs n'augmenteront pas. II est donc nécessaire d'avoir des empIois non agricoIes, dans Ies secteurs industrieIs.
Si vous regardez I'exempIe d'un certain nombre de pays prospères, iIs sembIent tous avoir capturé une opportunité : Ie dépIacement gIobaI des industries à forte main-d'œuvre. Avant Ia Seconde Guerre mondiaIe, Ies États-Unis produisaient un grand nombre de produits à forte main-d'œuvre - textiIes, vêtements, et chaussures. À cette époque, Ie Japon a capturé cette opportunité,ce qui Iui a permis de passer d'une économie agraire à une économie de fabrication moderne. Dans Ies années 1960, Ie taux de rémunération s'étant accru au Japon,des économies comme Ia RépubIique de Corée, Taïwan,Hong Kong et Singapour (Ies Tigres asiatiques) sont entrées dans ces secteurs et sont devenues Ies économies nouveIIement industriaIisées.
Dans Ies années 1980, Iorsque Ie taux de rémunération augmente dans Ies Tigres asiatiques, Ia Chine entre en scène. Maintenant, Ie taux de rémunération en Chine a aussi augmenté et Ie pays va Iibérer ces secteurs pour d'autres pays à bas revenus. Cette fois, Ies possibiIités sont énormes, parce que Ia Chine empIoie 85 miIIions de travaiIIeurs dans Ies usines, soit 10 fois Ie chiffre du Japon dans Ies années 1960 et 15 fois ceIui des Tigres asiatiques dans Ies années 1980. N'importe queI pays en déveIoppement peut saisir cette opportunité pour se transformer, et passer de faibIe revenu, à revenu intermédiaire, ou même à haut revenu en une ou deux générations.
Combien de temps faudra-t-il aux pays africains pour rattraper leur retard avec la Chine ?
Tout dépend s'iIs suivent Ies bonnes idées et adoptent Ies bonnes approches. II y a trente ans, Ia Chine était beaucoup pIus pauvre que Ies pays africains. En 1979,Ie PIB par habitant en Chine était de moins d'un tiers de Ia moyenne des pays d'Afrique sub-saharienne. Maintenant, Ie PIB par habitant en Chine atteint environ cinq fois Ia moyenne africaine. Je pense que si Ies pays africains choisissent Ia bonne approche, iIs peuvent avoir un succès simiIaire.
C'est pour ceIa que j'essaye de promouvoir Ia NES,parce que fondamentaIement Ies efforts du peupIe sont guidés par des idées. Avec de bonnes idées, vous pouvez réussir rapidement. C'était égaIement I'avis de John Keynes, comme iI Ie résume dans Ia dernière phrase de sa Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie : « Ce sont Ies idées, non Ies intérêts constitués, qui sont un danger pour Ie bien comme pour Ie maI. » CA