Développement coopératif
2015-11-09HouWeili
Développement coopératif
ÉVOLUTION DES MODES DE VIE AU TIBET
Les Tibétains ruraux augmentent leur revenu et améliorent leurs conditions de vie en mettant en commun leurs expériences, leurs compétences et leurs ressources par Hou Weili
L'lDÉE de conduire 3 300 kilomètres, à une altitude de plus de 4 500 mètres, pour des vacances d'été pourrait dissuader le voyageur le plus endurci. Mais c'est exactement ce que Dong Erqiang, sa femme et leur fille de 13 ans ont choisi de faire.
Conduire sur l'autoroute Qinghai-Tibet, de Beijing à la région autonome du Tibet, pour leurs vacances annuelles, a été merveilleux pour cette famille d'aventuriers. Sur le chemin, un bassin géothermal a attiré leur attention et ils s'y sont reposés après plusieurs jours sur la route.
« J'ai vu le panneau et j'ai décidé de tester ce bassin spécial. Ça valait le coup », a déclaré Dong à CHINAFRIQUE.
Quelques années auparavant, ce bassin, aujourd'hui une attraction touristique, n'était constitué que de quelques geysers loin des sentiers battus. Un berger local, Karma Samten, originaire de la ville de Luoma, dans la préfecture de Nagqu, dans le nord du Tibet, a été le premier à percevoir le potentiel de
cette ressource naturelle. Sa coopérative agricole a investi 1,3 million de yuans (206 350 dollars) pour faire de cet endroit des sources chaudes ouvertes au tourisme, créant ainsi des opportunités d'emploi pour les fermiers locaux.
Outre cette initiative, la coopérative a mobilisé la population locale pour optimiser les activités d'élevage et ajouter de la valeur aux produits agricoles. Aujourd'hui, environ 130 familles du coin gagnent un bon revenu grâce à la coopérative.
La coopérative de Karma Samten est un bon exemple des moyens créatifs par lesquels les
Tibétains améliorent leurs modes de vie et augmentent leurs revenus. Adaptées aux ressources et aux réalités locales, un nombre croissant de coopératives agricoles se spécialisent dans l'agriculture, l'élevage et l'artisanat. En 2014, il existait 2 937 coopératives agricoles dans la région.
Nous achetons le lait de nos éleveurs à un prix plus élevé et nous leur
donnons des dividendes après que
leurs produits laitiers ont été vendus.
Bunorbu, Créateur d'une coopérative d'éleveurs, Préfecture de Nagqu, Tibet
Des produits à plus haute valeur ajoutée
Sur une population de 3,17 millions au Tibet, environ 75 % habitent en zone rurale, vivant essentiellement de l'agriculture et de l'élevage. À une altitude moyenne de 4 000 mètres, les prairies de la région, qui faisaient autrefois vivre la population locale,peinent à présent à générer un revenu suffisant.
« Avant, ma famille élevait environ 500 yacks et moutons. Seuls quelques-uns étaient vendus,pour un revenu annuel d'environ 10 000 yuans (1 580 dollars) »,raconte Karma Samten. Après la création de la coopérative, son revenu a atteint 80 000 yuans(12 700 dollars) l'année dernière, alors que le nombre de têtes dans son élevage est tombé à 200. ll attribue l'augmentation de son revenu aux produits à plus haute valeur ajoutée dérivés de l'élevage.
Des éleveurs s'occupent de yacks
Bunorbu, qui habite dans un village adjacent, raconte une histoire similaire. Avant, sa famille d'éleveurs avait du mal à trouver une bonne utilisation du lait de yack. « À part le beurre pour la table familiale ou comme cadeau, on ne se servait pas du lait de yack. Quand il y avait un surplus de production, il était gâché », raconte-t-il. Bunordu a pensé transformer le lait et le vendre à Lhasa, la capitale régionale. « Mais les petites quantités transformées par une seule famille ne pouvaient pas faire des profits suffisant pour couvrir les coûts de transformation et de transport ».
En 2006, Bunorbu a donc créé la première coopérative d'éleveurs de sa localité, qui se spécialise dans la production et la vente de produits dérivés du lait de yack, comme le beurre et le yaourt. « La coopérative aide toutes les familles membres en leur fournissant des canaux de distribution et de transport de leurs produits, et en réduisant ainsi leurs coûts et risques opérationnels », affirme Tsring, chef du Bureau agricole et pastoral de la préfecture de Nagqu.
« Nous achetons le lait de nos éleveurs à un prix plus élevé et nous leur donnons des dividendes après que leurs produits laitiers ont été vendus », explique Bunorbu. Pour l'instant, 1 933 éleveurs de 386 familles participent à la coopérative. « Rien qu'avec le lait de yack, le revenu annuel des locaux a augmenté de 1 500 yuans (238 dollars) en moyenne », affirme Tsring. « Grâce aux coopératives, les moyens de production, y compris les terres, le bétail et le travail,ont été optimisés », dit-il, ajoutant que cela permet d'atténuer le fardeau environnemental pesant sur la région.
Mettre en commun les ressources
Une coopérative agricole
Pour rejoindre la coopérative, les fermiers et les éleveurs doivent mettre en commun la terre, le bétail, les véhicules et l'équipement, et reçoivent en échange les bénéficies économiques d'une gestion professionnelle.
En 2013, Karma Samten a mis en place une équipe de construction dans sa coopérative. Le surplus de main d'œuvre et de personnel qualifié comme les maçons, les charpentiers et les peintres de son village trouvent désormais de nouveaux moyens de gagner de l'argent hors de la saison agricole. L'équipe a gagné 500 000 yuans(79 370 dollars) l'année dernière, permettant à 130 familles rurales d'augmenter leur revenu.
Les coopératives offrent en outre des subventions au surplus de main d'œuvre pour recevoir une formation et apprendre des compétences adaptées au marché.
En 2007, Menpa, originaire du village n°28 de Nagqu, a investi 880 000 yuans (139 680 dollars)pour fonder une coopérative de transport de sable. Avec son soutien financier, 38 fermiers sont allés dans des écoles professionnelles et travaillent désormais comme excavateurs, chargeurs, soudeurs ou électriciens.
Kunzang Dorjee, 28 ans, est l'une de ces personnes. ll travaille comme excavateur à la coopérative et reçoit un salaire mensuel de 5 000 yuans(794 dollars). Durant les huit dernières années, la coopérative de transport de sable a permis d'améliorer les conditions de vie de 685 villageois.
Les fermiers qui ont vu leurs terres avalées par l'urbanisation sont obligés de trouver de nouvelles manières de gagner leur vie. Dans le village de Dongga, dans le district de Doilungdeqen à Lhasa, les fermiers ont été poussés à trouver de nouvelles opportunités, car leurs terres diminuaient. L'amélioration du réseau de transport et le développement des infrastructures leur a offert les opportunités dont ils avaient besoin.
Une travailleuse locale teint un Bangdian
Dawa Dolker expose des tabliers Bangdian
Avec son expérience, sa réputation et ses contacts, Jamp a créé une coopérative de transport avec les habitants de son village. ll a soutenu les familles pauvres en se portant garant pour celles qui ne pouvaient pas demander un prêt pour acheter un véhicule. « lls peuvent choisir de travailler comme chauffeurs dans ma coopérative. Le salaire mensuel est de 3 000 yuans (476 dollars) à 5 000 yuans (794 dollars) en fonction de la distance de transport », explique-t-il. À ce jour, la coopérative possède 176 véhicules et procure une source stable de revenus à 70 % des fermiers du village.
Coopératives culturelles
Avec le concept de coopératives spécialisées,l'agriculture et l'artisanat traditionnel n'ont pas été oubliés.
Le Bangdian est une sorte de tablier à bandes multicolores, fait en lainages. ll est porté essentiellement par les Tibétaines mariées, dont il indique le statut marital, tout en servant de décoration. En 2006, ce vêtement a été listé au sein de l'héritage culturel immatériel national.
Tenzin Dolma, 22 ans, est l'héritière de cette tradition dans la préfecture de Shannan. Avec sa mère, elle a créé une coopérative de fabrication de Bangdian en 2011, et a enseigné aux habitants de son village les techniques de tissage. lls ont à présent 45 employés, dont la plupart sont des femmes venant de familles à bas revenus.
« Ce n'est pas un travail très pénible, et pourtant je peux gagner environ 2 000 yuans (317 dollars)par mois », a déclaré Dawa Dolker à CHINAFRIQUE. Après sept ans d'expérience, elle peut désormais faire un tablier par jour.
Pendant l'Exposition universelle de Shanghai en 2010, Tenzin Dolma a participé à l'exposition des produits de l'héritage culturel immatériel du Tibet et a promu l'artisanat traditionnel auprès de l'audience internationale. « Comme c'était l'été, les tabliers de laine ne se sont pas bien vendus. Mais j'ai senti que les gens les aimaient beaucoup et qu'il existait un marché potentiel pour nos produits culturels locaux », affirme-t-elle.
Elle apprend maintenant des compétences de marketing, tout en créant de nouveaux motifs et styles pour ses tabliers, afin qu'ils gagnent en popularité. Son but reste d'offrir une meilleure vie aux habitants de son village.
Tout cela crée un cercle vertueux. Le bon revenu de Karma Samten a rendu possible pour trois de ses quatre enfants d'aller à l'université. Aujourd'hui,sa plus jeune fille est docteur et ses deux fils sont professeurs. « Ma fille aînée travaille avec moi. Elle poursuivra les traditions culturelles de notre peuple », dit-elle fièrement. CA
✉ houweili@chinafrica.cn